Eau : non, l’agriculture ne gaspille pas [par Yann Kerveno]

Remettons l’eau au centre du village pour comprendre les enjeux.

N’en déplaise à ceux qui découvrent aujourd’hui la question, l’eau est bien un enjeu majeur de civilisation. Sans elle, pas de vie et son utilisation a toujours fait l’objet d’arbitrages politiques négociés ou arrachés par la guerre. Si l’on a oublié cette conflictualité dans nos contrées, c’est parce que justement les usages de l’eau sont régulés et seules les périodes de tensions, telles que celle que nous connaissons, mettent en lumière les limites de ces régulations. Le géographe Yves Lacoste, grand connaisseur du sujet, nous avait prévenus dès les années 2000 que nous connaîtrions, même ici, des tensions fortes dans le futur à cause du changement climatique (oui, ce n’est pas nouveau). Et il fustigeait d’ailleurs à l’époque les dogmes des mouvements écologistes (déjà !) vent debout contre la construction de réserves…

Enjeu de toujours

Voilà pour le cadre général, l’eau est bien un enjeu politique et géopolitique, à l’échelle d’un département ou d’un continent, on le voit notamment avec les projets de barrages sur le Nil ou les tensions récurrentes au Moyen-Orient. Et chez nous ? Chez nous, comme partout, l’affaire se complique d’année en année et les conflits d’usages, au moins médiatiques et politiques, se font plus intenses à chaque été sec, comme cette année. Pour autant, l’eau a toujours été un enjeu, en témoigne l’histoire et les droits d’eau accordés, depuis qu’il s’est agi d’en contrôler la circulation, par les seigneurs du coin.

Dans les Pyrénées-Orientales, la présence de canaux date, pour les traces dénichées par les historiens, des alentours de l’an mille, mais c’est essentiellement à la fin du Moyen Âge que le réseau se développe. Avec une mission première alors, bien avant l’irrigation, celle de faire fonctionner les moulins à farine installés sur leurs berges. Mais en amenant l’eau où elle ne circulait pas, ils ont profondément modifié le paysage.

Vous avez dit gaspillage ?

Une fois ce rapide rappel posé, un autre s’impose. Pourquoi ? Parce que le concert médiatique qui entoure aujourd’hui la question donne l’impression que l’eau utilisée par l’agriculture s’évapore (le terme est mal choisi, vous allez voir), disons, disparaît corps et biens dans un gaspillage moralement insupportable. C’est le moment de revenir sur le cycle de l’eau (qui s’enseigne dès l’école primaire, ndla). Vous avez certainement en souvenir ce dessin, au tableau noir, de l’océan surmonté de nuages de vapeur d’eau qui viennent s’échouer sur les montagnes pour alimenter glaciers et rivières.

C’est cela le cycle de l’eau*, cette boucle infinie qui voit les molécules d’eau voyager dans les airs, sur ou dans la terre, avec pour moteur principal le soleil et la chaleur qui font évaporer l’eau, qu’elle soit à l’état liquide, les lacs, les rivières, les océans, ou contenue dans les organismes vivants, végétaux en particulier, on appelle cela alors l’évapotranspiration. L’eau ne se perd jamais, elle peut-être salement polluée mais elle ne se perd jamais. On peut même considérer, avec un peu de provocation, que l’eau qui fuit des réseaux d’eau potables mal entretenus, c’est fort dommage, n’est pas perdue puisqu’elle finit par rejoindre la nappe phréatique !

Elle crée de la richesse

Pourquoi cette longue digression ? Pour permettre de comprendre qu’entre l’eau pompée dans le sol par les plantes et l’évapotranspiration (la plante rend une partie de l’eau consommée à l’atmosphère), il y a, justement, la plante. Tout cela pour dire que l’eau utilisée par les plantes, sauvages ou cultivées, n’est pas inutilement consommée. Tout cela pour dire que sans eau, rien ne pousse, quoi qu’on veuille bien en dire dans le petit écran. Pour que les végétaux poussent, il faut forcément qu’il y ait de l’eau, au moins dans le sol. Il suffit de se souvenir des images du Sahara ou du Kalahari pour comprendre ça. Si les plantes poussaient sans eau, les déserts seraient verdoyants.

Tout cela pour dire que l’eau utilisée par l’agriculture n’est pas gaspillée, comme on voudrait nous le faire croire aujourd’hui. Elle n’est pas gaspillée parce qu’elle permet de faire pousser les plantes dont nous nous nourrissons. Elle est dans les pêches, le raisin, le concombre, le radis, la pomme de terre, l’amande, elle est dans la viande que nous consommons si nous en consommons… Faire pousser les plantes qui nous alimentent nécessite du travail qui crée de la richesse par les salaires et les bénéfices qu’il génère. Pour les Pyrénées-Orientales, c’est 330 M € de chiffre d’affaires en bord de champ. Pour l’Aude, plus de 650 M €. Tout cela pour dire que l’eau produit de la richesse, partout où elle passe, circule, quelles que soient ses voies, qu’elle circule en surface ou en profondeur… Que l’homme l’utilise ou non.

(Suite).

Article précédent : Été 2020. La preuve par 9. https://www.lagri.fr/eau-2022-ou-la-preuve-par-9-par-yann-kerveno

2 réflexions sur “Eau : non, l’agriculture ne gaspille pas [par Yann Kerveno]

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