Eau : T6 ou la borne de la discorde [par Yann Kerveno]

Pour qu’une mesure soit juste, encore faut-il que les moyens de la mesure soient justes ? Dans le lit de la Têt, le point T6 fait l’objet de toutes les controverses.

Nous avons vu la semaine dernière comment la polarité des débats autour de l’eau empêchait toute discussion sereine. Avec d’un côté les utilisateurs qui tentent d’en défendre l’usage et de l’autre une myriade de mouvements de protection de l’environnement qui en ont fait un totem. Puisqu’on parle de totem, il est temps d’en arriver à T6, le point du département qui cristallise toutes les tensions et pourrait servir d’étalon à controverses. T6 ? C’est un point de mesures de débit situé sur la Têt, le long de la 116. Mais pour bien comprendre de quoi l’on parle, il faut maintenant vous familiariser avec la notion de débit réservé, dont chaque rivière du département est dotée et qui s’impose à tous les utilisateurs. C’est le le débit minimum censé permettre de préserver la vie aquatique…

Quelques centaines de mètres…

Pour la Têt, par exemple, en période d’étiage, le débit réservé dérogatoire (il est à 2 000 litres hors été) est de 600 litres par seconde à T6 et 1 200 litres à Perpignan. Mais ce que contestent les irriguants, c’est la validité de T6 utilisé pour les mesures. En effet, ce point, il a été démoli depuis par la tempête Gloria, est situé après les prises d’eau de tous les canaux qui irriguent la plaine du Roussillon et surtout avant le retour de l’eau non utilisée dans le lit de la rivière. “C’est un petit tronçon, quelques centaines de mètres, où la tension est en effet grande alors que sur le reste de la rivière il y a moins de difficultés” plaide Sandrine Jaffard, de l’association des canaux de la vallée de la Têt. Un tronçon qui oblige à une gymnastique complexe pour les gestionnaires de canaux qui n’ont de cesse de faire montre de leur bonne volonté en allant au delà des dispositions prises par le comité sécheresse, par exemple, comme c’est le cas depuis deux ans maintenant avec le déclenchement de tours d’eau au sein des canaux, quasi dès le début de la saison d’irrigation, pour économiser la ressource et entre canaux dès le mois de septembre.
Pour autant, France Nature Environnement (FNE) mène une véritable guerrilla contre ces arrêtés de débits réservés (sur la Têt et ailleurs) en attaquant l’État, puis les canaux par effet boule de neige en tant que bénéficiaire.

Le retour de l’eau

Pour la Têt, l’association environnementaliste demande la fin des dérogations accordées pour la période d’étiage et le maintien d’un débit réservé de 2 mètres cubes par seconde douze mois sur douze. “Et les services de l’État ne sont pas pressés de défendre leur décision” regrette encore Sandrine Jaffard. Le risque ? C’est que la justice donne raison à FNE et rende la campagne d’irrigation très problématique. En clair, il n’y aura plus d’eau pour tout le monde. À cause d’un point de mesure mal placé…
“On estime que 20 % de l’eau prélevée est réellement consommée par les plantes, le reste retourne au milieu naturel, dans la rivière, dans la nappe phréatique” précise Sandrine Jaffard. “Mais c’est vrai qu’il faudrait que nous puissions mesurer avec exactitude ce qui retourne à la rivière et où.” Cette notion de retour est fondamentale. L’eau qui est prélevée dans la rivière alimente des fonctions qui sont rarement prises en compte. “Quand les canaux fonctionnent à débit réduit, le remplissage de la nappe en est d’autant réduit.” Ce qui conduit, dans certaines zones, à de régulières situations de crise, comme du côté de Bouleternère et Saint-Michel de LLotes.

13 millions de mètres cubes économisés en 10 ans

“Après l’épisode de rupture fin 2021, il y avait un risque de manque d’eau potable au robinet, nous avons lâché 500 litres par seconde dans le Boulès depuis le canal pour participer au rechargement de la nappe dans laquelle l’eau potable des villages est puisée. Quand nous avons stoppé, en janvier, la nappe était à 9 mètres. Sans pluies notables, elle est vite retombée à 4 mètres… On a beaucoup de mal à faire reconnaître cette fonction essentielle de remplissage, il n’y a pas de reconnaissance du service rendu.” De quoi générer pas mal d’amertume. Surtout qu’en 10 ans, les efforts produits ont fait passer les prélèvements de 36 à 23 millions de mètres cubes sur le canal de Corbère par exemple.

Pendant ce temps, dans les villages, avant le barrage, les plus anciens se souviennent que les jours “à sec” n’étaient pas rares et qu’on traversait la Têt souvent à pied aux heures les plus chaudes de l’été.

(À suivre)

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