Le travail n’est pas l’ennemi ! [par Jean-Paul Pelras]
“La tempérance et le travail sont les deux vrais médecins de l’homme : le travail aiguise son appétit et la tempérance l’empêche d’en abuser.” Jean Jacques Rousseau – 1762. “Le travail est une valeur de droite (…) On a un droit à la paresse” Sandrine Rousseau – 2022.
260 ans séparent ces deux citations. Qui, certes, ne nous renseignent pas sur l’éventuel lien de parenté pouvant unir Jean-Jacques à Sandrine, mais qui démontrent ce que le travail suscite, depuis des siècles, comme prises de positions diverses et variées. À cela il faut rajouter la phrase prononcée récemment lors de la Fête de l’Humanité par Fabien Roussel : “La gauche doit défendre le travail et ne pas être la gauche des allocations et minimas sociaux”. Il n’en fallait pas moins pour enflammer la sphère politique et, de surcroît, médiatique avec, après “la virilité du barbecue” et “le sexe des escalopes”, un énième échange entre Roussel et Rousseau qui répond au communiste : “La société écologique, c’est une société de ralentissement, c’est une société où on prend du temps, c’est une société où on a le droit de changer d’avis, où on ne s’enferme pas toute la vie dans des carrières qui abîment le corps et qui fait qu’on arrive à 60 ans en étant déjà malade”.
Avec cette réplique, la député NUPES, peut-être sans le savoir, met le doigt sur une réalité de plus en plus prégnante : changer d’avis au cours de sa carrière professionnelle. En témoignent les 520 000 démissions constatées en France entre fin 2021 et début 2022, dont 470 000 signifiaient la fin d’un contrat à durée indéterminée. Caprice d’enfants gâtés ou réalité sociale, le monde du travail doit désormais composer avec cette surprenante équation, avec ce “Big quit” qui renonce à la sécurité de l’emploi (bien évidemment toujours relative) pour s’aventurer vers des chemins plus grisants ou passionnants.
Comment peut-on vivre aujourd’hui, en France, décemment avec un Smic ?
La routine, la répétitivité des tâches, l’absence de perspectives ou d’évolutions, l’âge, le calibrage professionnel ou géographique peuvent motiver ce désir de changement, cette envie d’aller voir autre chose, soudainement et ailleurs. Si la crise sanitaire, le télétravail, le confinement, le repli sur soi, la distanciation, la raréfaction du lien social au sein des entreprises, ont précipité ce besoin d’oxygène, d’autres paramètres doivent être pris en compte. Et en particulier concernant l’emploi intérimaire ou saisonnier, avec des employeurs qui préfèrent louer le studio pour spéculer plutôt que de le réserver au jeune qui n’a pas les moyens de se loger sur les stations de ski ou pendant les jobs d’été. Résultat des courses, il faut fermer le midi ou le soir car il n’y a plus assez de monde pour dresser le buffet, servir le client ou ranger les tiroirs.
Plus globalement, les tensions constatées depuis des mois sur le marché du travail peuvent effectivement donner raison à Fabien Roussel lorsqu’il évoque une certaine forme d’assistanat devenue tout aussi rémunératrice que l’emploi lui-même. Il faut, à ce titre, se garder de généraliser, mais il faut aussi tendre l’oreille et écouter les conversations qui alimentent ce sujet avec de nombreux employeurs qui ne trouvent plus de salariés, car ces derniers ont tout simplement fait leurs calculs et préfèrent rester chez eux. C’est une réalité et il n’y a pas de quoi hurler au loup ou hausser les omoplates. En revanche, il faut se demander pourquoi, depuis Mitterrand, la pente n’en finit plus de glisser.
Ce n’est pas avec l’argent public qu’il faut contenir les tensions sociales, mais avec une rémunération par le travail digne de ce nom. Comment peut-on vivre aujourd’hui en France décemment avec un Smic ?
C’est donc en relançant l’entreprise que l’on motivera les salariés, avec des bulletins de salaires appropriés et augmentés. Et non en la ponctionnant sans cesse pour alimenter ce tonneau des danaïdes où notre économie ne cesse de barboter. Car le travail n’est pas l’ennemi, s’il est considéré à son juste prix.