Eau : un certain déni de la réalité ? [par Yann Kerveno]

Entre la préservation de l’activité économique et la préservation (sanctuarisation ?) de l’environnement, les injonctions administratives n’aident pas au développement d’un débat serein sur la ressource en eau.

Nous avons vu la semaine passée combien T6 était un nexus, un nœud propre à cristalliser l’ensemble des oppositions. Mais les motifs de crispations sont multiples sur ce dossier, et répétés à l’envi, depuis la mise en place des débits réservés déterminés par une étude de l’Agence de l’eau remontant à 2012, étude qui n’avait pas forcément intégré les usages (agricoles et autres) dans sa réflexion. Autant dire que depuis, les conditions ont beaucoup évolué, en particulier du côté de la météo.

En effet, si les volumes d’eau apportés par les nuages sont sensiblement égaux, c’est leur répartition dans l’année qui est bouleversée et vient percuter les calendriers de production. On l’a vu cet été avec l’absence notable des orages qui conduisent, habituellement, les vignes vers la maturité. Les usages de l’eau ont aussi évolué. La population augmentant, les besoins sont plus importants d’année en année. Avec, comme le souligne l’hydrogéologue Henri Got, deux secteurs économiques très dépendants dans notre département, l’agriculture et le tourisme. C’est là l’autre nœud du débat : l’économie.

À fond dans les économies

“Le premier problème aujourd’hui, c’est qu’il y a différentes approches quand il s’agit d’aborder la question de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique. Nous sommes en face d’une opposition de vision entre ceux qui veulent s’adapter au changement climatique en adaptant la pratique, en s’équipant, et ceux qui sont prêts à sacrifier des surfaces cultivées, des productions… Le monde agricole est prêt à discuter de ces questions mais le préalable c’est que les surfaces soient maintenues” résume Jean Bertrand en charge du dossier à la Chambre d’agriculture.
“Le deuxième problème, c’est qu’aujourd’hui, on ne traite le sujet de l’eau que sous l’angle environnemental. Le monde agricole est à fond dans les économies d’eau, on essaye de cuveler de manière intelligente, parce que si on cuvelle les canaux sur toute la longueur, l’eau ne s’infiltre plus dans le sol, ne recharge plus les nappes…”

Rien pour le stockage ou le maillage

L’absurde rôde et n’est jamais loin. Jean Bertrand précise : “Les canaux sont alimentés par des seuils construits en travers des rivières mais la doctrine aujourd’hui, c’est de détruire les seuils pour rétablir la continuité écologique.” Sur le Tech, quatre seuils étaient concernés, dont celui qui alimente le canal d’Elne, avant qu’un collectif, au milieu d’une mobilisation nationale, parvienne à faire évoluer la loi.
“Pour remplacer le seuil, il était prévu que le canal soit alimenté par des pompes, c’était aberrant, pour 700 000 euros de fonctionnement annuel à la place du gravitaire qui ne réclame aucune énergie, ça devenait grotesque” explique Jérôme Cressole qui a mené le collectif. “Alors que le canal qui mesure 24 kilomètres sert à arroser les terres agricoles, dont la surface a peut-être reculé de 40 ou 50 % ces dernières années, à recharger la nappe phréatique, qu’il permet d’évacuer une partie des eaux de pluie et qu’il a une ripisylve identique à celle du Tech et constitue donc un corridor écologique important…”

Sentiment bizarre

Supprimer les seuils comporte également d’autres effets possiblement délétères. Comme l’accélération de la vitesse de l’eau qui peut venir accentuer le creusement du lit des rivières, problématique sur la Têt, comme le criait Henri Salvayre, hydrogéologue récemment disparu.
Et pour les connaisseurs du dossier, subsiste un sentiment bizarre : l’impression que l’administration ne prend pas du tout en compte la spécificité des canaux gravitaires, que seuls les prélèvements, et non ce qui revient à la rivière, sont considérés, accentuant l’impression de déficit. Jean Betrand ajoute : “On peut dire que 95 % des financements accessibles sont fléchés vers la question environnementale, on obtient des financements pour travailler sur les économies d’eau, pour les zones humides… Rien par contre quand il s’agit de travailler sur le stockage ou le maillage.” Le gros mot est lâché. Stockage.
(À suivre).

Article précédent : https://www.lagri.fr/eau-t6-ou-la-borne-de-la-discorde-par-yann-kerveno

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