Vins : où va le rosé ? [par Yann Kerveno]
C’est le segment qui tire et a évité la crise pour les vignobles méditerranéens. Quelles sont les tendances à l’œuvre ?
SI des dizaines de milliers d’hectos de rosés seront distillés cette année dans le cadre du plan national d’appui à la viticulture, ce n’est pas parce que le produit ne plaît plus. Mais juste parce que la Covid a asséché la principale période de vente et que c’est bien plus périssable que les deux autres couleurs. Symbole de l’été et des apéros, le rosé est une couleur qui évolue rapidement. “La Provence a beaucoup fait pour le rosé en parvenant à mettre en marché des vins de grande qualité avec de vrais profils de terroir. C’est ce travail qui a permis de sortir le rosé de son image, ancienne, de vin trafiqué” rappelle Nicolas Raffy au Mas Amiel. “Ensuite, ils sont parvenus à monter en gamme, à faire monter les prix, ce qui a permis à de nouveaux acteurs, dont le Languedoc et le Roussillon de se faire une place dans ce marché. Nous sommes ensuite parvenus à amener de la valeur sur ces produits.”
À Cap Leucate, Damien Ourliac surpervise l’élaboration des rosés qui ont fait l’objet d’une étude poussée. “Chaque année ce sont près de 80 000 personnes qui passent dans nos boutiques, cela nous donne une bonne base d’enquête, plus les discussions que nous avons ensuite pour les volumes vrac avec Val d’Orbieu que nous fournissons.”
À la provençale
La cave audoise a fait le pari de la nuance claire, à la Provençale en somme. Mais il a fallu pour ça organiser la cave pour répondre au challenge. “Pour les hauts de gamme, nous avons fait de la sélection parcellaire pour privilégier la rapidité, en sélectionnant des parcelles qui sont proches de la cave afin de gagner du temps et que les raisins restent intègres. Ensuite, les premiers jus, sortis du fond de cuve, sont pompés pour qu’ils ne se mélangent pas… L’objectif c’est vraiment d’avoir les meilleurs jus possibles, avec un pressurage doux pour ne pas extraire trop de couleur et de tanin de la pellicule… Nous cherchons pour ces vins que le cœur de goutte en somme. Le rosé est devenu quelque chose de très pointu,” ajoute-t-il, “qui nécessite des process de vinification très particuliers.” Pour certaines cuvées, la cave a recours à des cépages blancs, pour d’autres elle utilise des copeaux pour souligner les arômes des raisins… Et le travail sur la couleur, “la nuance” préfère-t-il, est intense pour correspondre aux attentes du marché. “On le voit cette année, la tendance est au très très clair. D’ailleurs, quand c’est clair, on n’a pas besoin de faire déguster pour déclencher l’acte d’achat.” Une tendance qui se retrouve aussi dans la demande de Val d’Orbieu.
Garder un œil sur le bag in box
Pour Nicolas Raffy, le marché est pourtant loin d’être stabilisé. “En Roussillon, on voit qu’il se fait des vins différents en s’appuyant sur l’identité de nos terroirs et je pense que c’est une tendance qui va s’affirmer, même si le marché reste très gourmand de vins très clairs. Nous allons nous diriger vers des couleurs plus soutenues et probablement avec plus de matière dans les vins. Je suis sûr que certaines niches de marché d’aujourd’hui peuvent représenter à terme de volumes intéressants.” Et les prix peuvent aussi être rémunérateurs. “Cette année est très particulière, il y a eu des déstockages de rosés du Roussillon à 2 ou 3 euros, mais le marché est probablement au-dessus de six euros pour ces vins, la tendance est là et il faudra aussi garder un œil sur le bag in box de rosé en trois litres…” Et l’appétence des consommateurs pour le rosé stimule l’innovation. La cave de Leucate fait faire à façon un muscat rosé effervescent, le muscat se décline aussi en rosé depuis quelques années et Lafage vient de sortir “La Triple” un pétillant rosé à base de grenache, syrah et vermentino…