Vins : difficile d’y voir clair !
Représentant du courtier américain Ciatti, Florian Ceschi connaît parfaitement le marché mondial du vrac. Il livre quelques réflexions sur le contexte particulièrement difficile du marché du vin aujourd’hui.
Sa position de courtier en fait un observateur pointu des tendances du marché mondial du vin. Pour autant, Florian Ceschi ne cache pas son embarras quand il faut tenter d’extraire des tendances pour le futur dans le maelström de la Covid-19 et des guerres commerciales. La seule chose qui est finalement sûre, c’est donc qu’il est bien difficile d’y voir clair. Quand on regarde en Europe, la distillation de crise a indéniablement fait du bien, surtout que la récolte française est confortable en volumes. “La distillation aura permis ici de nettoyer le problème des rouges, peu de rosés ou de blancs ont été envoyés à la distillerie. Cette opération a évité que les cours se cassent la figure et les caves se sont vidées. Elle a également permis que le début de campagne se fasse sans anicroche.” Par contre, il estime que, pour les vins qui restent en stock à l’issu de la distillation, on “reste dans le dur”.
“L’offre en appellation est complètement invisible sur le marché et les producteurs continuent de ne parler que de rendements au lieu de se poser la question de savoir comment on rémunère les producteurs pour qu’ils gagnent leur vie correctement, au moins aussi bien en tout cas que ceux qui font des vins de France” juge-t-il.
Si la vendange française est correcte, elle est marquée par la pression sanitaire, ce qui vient compliquer la position des vins bio après deux années difficiles. “Sur le marché, les prix des rosés et des blancs se maintiennent, par contre, dans les rouges, ça décroche. Ce qu’on voit sur Bordeaux en septembre, c’est n’importe quoi, on voit des offres à moins de 90 euros l’hectolitre… La Charente ne s’en est pas trop mal tirée et le Cognac continue de progresser, elle a acheté pas mal de moûts sur Bordeaux pour faire des vins de tables. Dans le secteur du Rhône, la récolte est petite, en Provence, la gelée a fait beaucoup de dégâts dans le Var, un peu moins dans les Bouches du Rhône…”
Et l’avenir ? Bonne question !
“Au niveau mondial, nous assistons à une forme de premiumisation” explique Florian Ceschi. C’est à dire, pour expliciter ce terme venu de l’anglais, que les producteurs montent en gamme pour vendre les vins plus chers. C’est particulièrement valable sur le marché américain. “Aux États-Unis, tout le monde se bat aujourd’hui dans le segment compris entre 11 et 15 $. Le seul opérateur à échapper à cette grande tendance et à conserver une intense activité dans le segment à moins de 10 dollars, c’est E. & J. Gallo” explique-t-il. D’ailleurs, c’est bien Gallo qui a racheté pour plusieurs centaines de millions de dollars toutes les marques d’entrée de gamme de Treasury Wine Estate, entreprise australienne numéro un mondial du vin, elle aussi en plein mouvement de montée en gamme. Pourtant, la crise de la Covid qui dure n’a pas forcément montré que le consommateurs allaient suivre cette tendance. “On l’a bien vu avec une baisse du prix moyen constaté. Pendant la crise, ce sont les IGP et les bag in box qui s’en sont bien tirés, au détriment naturellement de vins plus qualitatifs.” En raison, en particulier, des mesures imposées : la fermeture des cafés et restaurants, consommateurs de produits premium, et le maintien des flux de commerces par la grande distribution. “Mais au final” ajoute-t-il, “ce sont bien les réseaux de distribution qui donneront raison à ces choix stratégiques des entreprises.” Raison de plus pour regarder ce qui se passe de ce côté-là.
Vente directe, internet…
“Depuis le début de la crise de la Covid, aux États-Unis, la vente en ligne a énormément progressé, tout comme la vente directe. Ce sont des canaux qui ont doublé leur nombre de clients finaux…” Un constat identique, même s’il est de moindre proportion, peut être dressé en France. Il insiste sur les évolutions en grande distribution qu’on aurait tort de ne pas regarder de près pour l’avenir. “Dans la grande distribution, la tendance est à la rationalisation. Tout le monde veut rationaliser pour gagner en efficacité et la concentration des opérateurs accélère ce mouvement. Il est probable que vous ne serez bientôt plus référencés si vous n’avez pas une gamme complète à offrir à votre client distributeur.” Aux États-Unis, certains opérateurs sont aujourd’hui capables d’offrir toute la gamme des vignobles américains. “Mais c’est un peu à l’image de ce que font Castel et Grand Chais de France ici.” La grande inconnue de ces prochaines semaines, c’est la consommation dans le contexte de crise économique que nous vivons et allons continuer de vivre au long de l’hiver.