Véhicules “tout électrique”: réalisme, illusion ou erreur stratégique ? [par Thierry Masdéu]
La décision de l’Union Européenne (UE) de miser majoritairement sur les motorisations au tout électrique comme alternative au thermique, amène son lot d’interrogations, tant au niveau politique, social, économique, écologique, technologique, industriel et, bien évidemment, énergétique. Comme nous l’évoquions la semaine dernière, le texte voté qui ne devrait concerner que les véhicules de particuliers et utilitaires légers neufs, implique donc de multiples défis.
Un enjeu qui dépasse largement le cadre politique de cette décision, suite à laquelle le groupe automobile Stellantis, numéro deux européen, a fait connaître, moins d’une semaine après le vote, sa désapprobation, en annonçant par simple communiqué de presse son intention de quitter, à la fin de l’année, l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), et lance son “Forum sur la liberté de mouvement” prévu pour début 2023. Une réunion annuelle d’experts diversifiés pour résoudre les problèmes de mobilité les plus urgents. “Nous avons l’intention de créer un forum public dans lequel les contributeurs pourront se réunir pour aborder les questions clés entourant le débat sur la mobilité décarbonée et proposer des étapes concrètes que nous pourrons entreprendre ensemble” a déclaré, dans ce communiqué de presse du 13 juin en provenance d’Amsterdam, Carlos Tavares, directeur exécutif de Stellantis, soulignant que “l’accès à une mobilité propre, sûre et abordable pour les citoyens du monde entier est en jeu.”
Écologie, sécurité et coûts, cette dernière phrase résume à elle seule les trois principales phases ou contraintes qui devront être maîtrisées pour conduire cette transition de la mobilité à zéro émission de CO2 et de particules, sans compter le remaniement industriel qui s’annonce et que certains présentent déjà comme troisième révolution industrielle.
Le saut dans le vide
Une situation que Robert Bassols, président de la Fédération nationale de l’automobile (FNA) qualifie d’erreur stratégique. “L’empreinte carbone de la voiture ne représente que 12,5 % de la contamination mais le plus grave, c’est le saut dans le vide dans lequel on entraine toute une profession et des millions de personnes avec ! C’est un véritable sabordage industriel, inédit depuis 150 ans, qui s’annonce catastrophique !” alerte le représentant national des professionnels de l’artisanat automobile. Alors, la fin du moteur thermique et l’alternative du tout électrique pour la propulsion des véhicules seraient-elles illusoires ? C’est aussi l’avis de Bruno Camus, docteur en gestion (PhD), analyste des stratégies des constructeurs automobiles pour les magazines “Auto-news” et “L’Automobile”. “Là, on est dans une vision un peu centrée sur nous même, l’Europe prend cette décision, mais il faut tout de même savoir que, sur la planète, il y a en circulation 1 milliard et demi de véhicules thermiques. En France, on en compte 40 millions et, sur le continent européen, c’est 300 millions ! Une grande partie des constructeurs européens ou ayant un marché important sur ce continent s’y soumettent car ils n’ont pas vraiment le choix, mais il n’est pas certain qu’ils cessent pour autant de produire des moteurs thermiques pour les autres continents !” souligne pédagogiquement l’analyste, qui est aussi directeur académique international à l’école de commerce et de management “Kedge Buisness School” de Marseille.
Prix, autonomie, recharges, durée…
“Alors, en admettant même que tous les pays du monde décident d’encourager le moteur électrique, il va falloir plusieurs conditions. Tout d’abord, financièrement ces voitures doivent être abordables, aujourd’hui en France le prix moyen d’un véhicule thermique est de 14 000 € et en électrique il est de 28 000 €. Évidemment, ce différentiel de prix va baisser au fur et à mesure que les volumes vont augmenter, mais quand même, cela reste cher ! Deuxième condition, il faut que la technologie améliore singulièrement l’autonomie de ces véhicules ! Même si on nous vante pour certains modèles des capacités de 300 à 400 kms, suivant les comportements et besoins en conduite de chaque utilisateur et passager, ou bien si on utilise du chauffage, de la clim ou encore si on roule de nuit, ces distances kilométriques vont forcément se réduire ! Troisième condition, il faut avoir un réseau de recharge qui soit suffisamment dense, en particulier en zones rurales, pour faire sereinement son plein d’électricité, ce qui est loin d’être le cas actuellement ! Enfin, quatrième condition, dans l’hypothèse que ce réseau soit en place, il faut que le temps de recharge soit rapide ! Pour un modèle dont les constructeurs prétendent une autonomie de 400 kms ou plus et en admettant que cela soit vrai, le temps de charge est d’au minimum 40 à 60 minutes ! Qui a envie de s’arrêter une heure tous les 400 ou 500 kms parcourus pour recharger sa voiture ?”
Malgré la volonté des pouvoirs publics, la solution d’une motorisation tout électrique ne semble pas, à ce jour, faire l’unanimité, aussi nous développerons dans une prochaine publication les alternatives que la recherche et les technologies actuelles sont en mesure de pouvoir nous soumettre. Un défi qui s’inscrit à la fois dans un contexte climatique inquiétant et énergétique déficient, comme vient de le rappeler une tribune publiée dimanche dernier chez nos confrères “Le Journal du Dimanche”. Co-signée par les patrons d’Engie, EDF et TotalEnergies, ce communiqué alarmant des trois énergéticiens appelle les Français à réduire leur consommation en énergie face à la flambée des prix qui menace la cohésion sociale et politique…