Où sont passés les primeurs ? [par yann Kerveno]

La production de vins primeurs est réduite à peau de chagrin dans les Pyrénées-Orientales. Ils sont aujourd’hui à peine une dizaine d’opérateurs à y consacrer quelques milliers de bouteilles…

Le mois de novembre est traditionnellement celui du vin nouveau, chasse gardée par les vignerons du Beaujolais. Mais le troisième jeudi d’octobre, c’est la sortie des primeurs dans les Pyrénées-Orientales. Sortie qui passe aujourd’hui grandement inaperçue… Que s’est-il passé ces dernières années pour que la Fête des vins primeurs qui emplissait la rue Mailly à Perpignan se déroule aujourd’hui dans la plus grande discrétion ? Organisée le troisième jeudi d’octobre, elle servait jusqu’à présent de “lancement” de la campagne.

“Pour nous, les primeurs, c’est 6 000 bouteilles, 10 palettes quoi, on aurait les moyens d’en faire plus, mais c’est un produit qui a une durée de vie très courte, trois ou quatre semaines” témoigne pour sa part François Capdellayre, président de Dom Brial, la cave de Baixas. “Alors oui, on peut regretter que la présence du primeur s’estompe dans le paysage roussillonnais, que la fête qui était liée, on était 40 producteurs, on passait 200 bouteilles dans l’après-midi, ne soit plus que l’ombre d’elle-même, surtout quand on voit poindre en face une « fête du cava »”
“Pour nous, c’est 4 000 cols que nous commercialisons en quasi-totalité dans le circuit traditionnel” détaille pour sa part Denis Surjus, président de la cave de Ponteilla.

Combien ?

Il poursuit : “les primeurs, ce n’est pas facile à gérer, il faut être prêt le troisième jeudi d’octobre, alors que nous faisons les rouges de plus en plus tard… Et nous n’avons pas forcément su profiter de l’effet « Beaujolais »”. “C’est dommage, en effet, qu’il n’y ait pas plus de vins primeurs, cela anime l’automne avant l’arrivée sur le marché des muscats de Noël” regrette Stéphane Zanella, président du CIVR.

Thomas Deprade, vigneron indépendant à Argelès (Deprade Jorda), regrette pour sa part que le CIVR, justement, n’en fasse pas plus pour les primeurs “mais en même temps, combien sommes-nous à encore produire des primeurs dans le département ? Deux ou trois indépendants ? Trois ou quatre coopératives ?”
“Est-ce qu’on a les moyens de promouvoir ce type de produit” se demande François Capdellayre ? ”On manque probablement de dynamisme pour promouvoir celà.”

Deux soirées par an

Pour Thomas Deprade, les vins primeurs font pourtant toujours partie de la stratégie de l’entreprise. “Je me suis installé en 2001 et nous avons fait nos premiers primeurs en 2003. Aujourd’hui, cela représente 10 000 bouteilles dans les trois couleurs” explique-t-il. La commercialisation de ces vins est appuyée par l’organisation d’une fête au domaine. “Nous organisons deux soirées consécutives au domaine qui nous permettent d’accueillir environ 400 personnes chaque soir pour faire découvrir les primeurs. C’est une fête qui est aujourd’hui reconnue et ancrée à Argelès. C’est le rendez-vous qui marque la fin des vendanges et la sortie des primeurs.” Le créneau est, en plus, assez court, quelques jours autour des événements, un petit regain d’intérêt au moment de la sortie des Beaujolais, qui sont à la fois primeurs et nouveaux (lire encadré), et c’est tout.

Ne pas confondre

Un vin nouveau n’est pas forcément un primeur. Un vin est dit “primeur” quand il est mis en bouteille l’année de la vendange, donc avant Noël suivant la vendange. Un vin est dit “nouveau” quand il est mis en bouteille avant la vendange suivante. Un vin nouveau peut donc ne pas être primeur. Le Beaujolais nouveau, qui représente l’essentiel du marché, cumule les deux qualités.

10 000 cols

Chaque année, ce sont 10 000 bouteilles qui sont préparées au domaine pour cette occasion, dans les trois couleurs, 5 000 de rouge et le reste en blanc et rosé. Pour autant, au chai, la production de primeurs n’est pas forcément une mince affaire. “Pour les blancs et les rosés, c’est assez simple puisque les dates de vendanges avancent dans le calendrier, ça laisse un peu plus de temps, nous avons aussi plus de latitude pour les assemblages, ou pouvons aller sur des choses plus exotiques en fonction des cuvées dont nous disposons.”

Pour les rouges, c’est plus sportif. “Contrairement aux blancs ou rosés, nous restons sur une recette simple, une macération carbonique de syrah, nos clients sont habitués à cela. Mais oui, c’est sportif parce qu’il faut que la fermentation malolactique se fasse et que nous embouteillons seulement quatre à cinq jours avant l’événement…” Un rush de plus !


Et le muscat de Noël ?

Difficile d’expliquer avec certitude la désaffection dont souffrent les primeurs dans le Roussillon. À moins qu’au final, ce soient les muscats de Noël, mis en marché quelques semaines plus tard, qui aient chipé la place… “Le muscat de Noël, c’est un produit festif, à 15 ou 18 euros la bouteille, c’est attractif, cela fait un joli cadeau de fin d’année” explique Denis Surjus, président de la cave de Ponteilla et de l’ODG muscat. “C’est un produit différent des primeurs qui est déployé sur environ 500 000 bouteilles par an sur les 8 millions que nous mettons en marché. Ce n’est pas négligeable.” Au domaine Deprade-Jorda, les muscats de Noël représentent 6 000 bouteilles, “c’est une porte de sortie intéressante, surtout quand on regarde la situation actuelle des muscats, dans le contexte, c’est correct.” À l’inverse des primeurs, les muscats du domaine sont vendus en direct, au caveau, par correspondance en France ou à l’étranger, saisonnalité oblige… “C’est un produit qui arrive avec son packaging de Noël donc les cavistes sont dans l’incapacité de commercialiser ces produits à un autre moment de l’année.”

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