Urbanisme et démographie : préserver les zones agricoles (Troisième partie) [par Thierry Masdéu]
Si les données de projection démographique se confirment à la hausse, tout comme celles d’une paupérisation pour une tranche significative de sa population, la plaine des Pyrénées-Orientales va indéniablement devoir faire face à plusieurs défis de taille… Forte demande en logements sociaux, gestion de la ressource en eau ou encore développement d’une autosuffisance alimentaire. Des points essentiels qui rentrent en ligne de compte dans le schéma de cohérence territoriale du “SCOT Plaine du Roussillon” et sur lesquels nous poursuivons notre enquête (voir Agri nº 3894 et nº 3895) avec Jean-Paul Billès, président de ce syndicat mixte qui regroupe 4 EPCI de la plaine.
En tant que maire de Pézilla-la-Rivière, mais également comme président du SCOT Plaine du Roussillon, comment appréhendez-vous ce besoin en logements, et notamment sociaux, si la courbe ascendante du faible pouvoir acquisitif des futurs résidents ou actuels ne fléchit pas ?
J’avoue que la pauvreté est une des données au problème. Et il est évident que le besoin en logements sociaux est, et sera, extrêmement important dans les P.-O., peut-être plus que dans d’autres départements voisins ! D’autant que chez nous, le taux obligatoire pour les communes supérieures à 3 500 habitants est fixé à 25 %, alors que normalement, en France, la loi SRU l’impose à 20 % ! Ce qui pose problème, par exemple sur des communes du littoral, comme en Salanque où elles n’ont plus la capacité de construire, mais restent quand même soumises à ce quota, ce qui fait l’objet de sanctions sous formes de pénalités financières.
Vous évoquiez dans l’édition précédente (Agri nº 3895) l’objectif extrêmement ambitieux et vertueux que représente la nouvelle loi ZAN, qui fixe zéro artificialisation des sols à l’horizon 2050. Mais aujourd’hui, cette notion d’artificialisation est-elle bien statuée ?
Non, à ce jour le législateur n’a pas encore défini par décret ce qui est reconnu artificialisé, ou pas. Par exemple, est-ce que l’on considère qu’un bassin d’orage, c’est quelque chose d’artificialisé ? C’est le cas chez nous, à Pézilla, nous en disposons un de neuf hectares. Mais c’est une prairie, et puis il y a des arbres, donc c’est un terrain qui pourrait tout aussi bien être considéré comme non artificialisé puisqu’il bénéficie largement à la biodiversité. En fait, on ne sait pas trop. Aussi, pour les dix prochaines années nous raisonnerons, comme pour ce bassin d’orage, en consommation d’espace.
Vous avez notifié que la révision du nouveau SCOT mettra l’accent sur les ressources en eau pour les projets d’extensions urbaines, tout comme le rôle majeur que représente la préservation du patrimoine des canaux d’irrigation ?
Absolument, et lorsqu’une commune souhaitera se développer fortement, elle devra démontrer qu’elle en a le potentiel, avec une capacité de ressource en eau suffisante pour pouvoir accueillir ses nouveaux habitants. En ce qui concerne les canaux d’irrigation, pour la première fois, on a mis l’accent, avec le “Cahier VI”, sur leurs plurifonctionnalités, qui sont vitales ! Tant sur le plan économique pour l’agriculture ou encore sur la gestion de l’eau avec l’approvisionnement des nappes. Mais aussi sur la protection de la biodiversité et on l’a bien constaté avec ces têtes bien pensantes qui, au nom de l’écologie, ont préconisé la coupure de l’eau dans les canaux.
Par exemple, à Pézilla, nous avons un patrimoine de 60 kilomètres de canaux et nous avons retrouvé énormément de hérissons morts ! Il fallait s’y attendre, car la chaîne alimentaire que génère l’eau des canaux a été rompue et ils n’ont pu trouver suffisamment de microfaunes pour se nourrir. Ces gens-là ont tué les trois quarts de la microfaune de la plaine de Roussillon ! Ça a été une bêtise énorme, comme celle de vouloir bétonner le fond des canaux pour empêcher les pertes d’eau. C’est la dernière des conneries à faire, l’eau qui s’infiltre, on la retrouve dans le puits d’à côté, dans les nappes ou dans la rivière ! Que l’on bétonne le grand canal pour pouvoir distribuer l’eau au plus vite d’accord, mais une fois qu’elle est dans les petits canaux, laisser le pays respirer !
La préservation des zones agricoles semble également occuper une place prépondérante dans le rapport des “Cahiers III et VI” de la révision du nouveau Schéma de cohérence territoriale, où vous qualifiez l’agriculture de matrice essentielle pour le maintien du département ?
Effectivement, on a beaucoup parlé de bâti, mais l’aménagement du territoire, c’est aussi la partie rurale et agricole qui est indispensable pour notre autosuffisance alimentaire. Mais également, si on ne maintient pas une agriculture la plus vivante possible et la plus forte possible, on ne pourra pas tenir ce territoire vis à vis du risque d’incendies, des inondations ou des paysages. Et nous, en tant qu’élus, le message que l’on doit faire passer c’est : attention, le monde agricole sert à tout le monde ! Les gens ne se rendent pas compte de l’importance qu’il représente en matière d’aménagement, d’entretien et préservation des espaces et il faut que cesse l’agribashing ! C’est affreux de considérer que les agriculteurs sont des personnes qui sont contre l’environnement et qu’ils veulent tout détruire. C’est exactement l’inverse. Si on n’a pas d’agriculteurs, on aura un territoire qui sera complètement dévasté !
Message souvent ignoré par le grand public, ce que regrette Jean-Paul Billès, tout comme le peu d’intérêt que représentent pour la population les sujets de la consultation publique du nouveau SCOT, d’autant qu’ils en sont acteurs, mais ne se les approprient pas…