Plan eau : de quoi la montagne a-t-elle accouché ? [par Yann Kerveno]

Le président de la République a présenté son “plan eau” dans les Alpes, sur les rives du lac de Serre-Ponçon. L’Agri a soulevé le capot pour voir de quoi il retournait.

L’affaire est à la hauteur de l’enjeu, 53 mesures, ni plus ni moins, sont censées aider la France à surmonter le changement climatique et qui s’étalent de 2023 jusqu’à 2030 où il faudra avoir atteint l’objectif d’une réduction de consommation de 10 %. Les mesures sont classées par famille et pas vraiment détaillées. Le premier chapitre est consacré aux économies avec peu de mesures directes si ce ne sont le financement de réduction de consommation de 50 sites industriels à “fort potentiel de réduction”, l’engagement de travaux pour “réduire la consommation d’eau dans les bâtiments neufs”, une ligne de crédit supplémentaire de 30 M € annuels pour aider l’agriculture dans “l’émergence de filières peu consommatrices, le développement du goutte à goutte…” à partir de l’an prochain. Du côté de la population, un accompagnement sera mis en place en 2024 pour l’installation de “kit hydro-économes et de récupérateur d’eau de pluie” (des mini-bassines en somme, non ?).

Compteurs…

Le chapitre “mieux planifier” s’intéresse à la gestion administrative avec la fin des autorisations de prélèvements “au-delà de ce qui est soutenable” dans les bassins déficitaires à partir de 2027, les grands bassins-versants seront dotés “d’un plan d’adaptation au changement climatique” et des objectifs chiffrés de réductions de prélèvements élaborés. Quand il s’agit de mesurer, chapitre suivant, il est prévu “l’installation obligatoire de compteurs avec télétransmission des volumes prélevés pour les prélèvements importants et un meilleur encadrement des forages domestiques avec une baisse du seuil de déclaration.” Enfin, il en a beaucoup été question, un vaste plan de réfection des réseaux d’eau potable sera lancé à travers le pays.

Réutilisation

Du côté des ressources, c’est la valorisation des eaux de stations d’épurations et des eaux grises ou de l’eau de pluie, par récupération, qui décrochent la timbale avec la prévision de 1 000 projets de réutilisation en place d’ici 2027. Il n’est par contre à aucun moment fait mention de la création de réserves nouvelles mais 30 M € annuels seront consacrés à “remobiliser et moderniser les ouvrages existants (curages de retenues, entretien des canaux)” et “développer de nouveaux projets dans le respect des équilibres des usages et des écosystèmes.” Le gouvernement aurait voulu ne pas se mouiller qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Il faut encore ajouter le chapitre sur les pollutions et les protections des aires de captage des eaux potables, mais rien de vraiment nouveau dans les actions envisagées. Voilà pour l’essentiel qui concerne l’activité agricole.

Droit mou

Mais ce qui change peut-être le plus, comme le fait remarquer Carole Zakine, c’est le renoncement de l’État à assumer la gestion de ce dossier puisqu’il la confie au niveau local. “La politique de l’eau est une politique décentralisée qui entend donner aux acteurs locaux et aux collectivités les moyens d’agir (…). Elle s’organise à l’échelle des bassins-versants ou des nappes, qui sont les périmètres de gouvernance pertinents pour gérer la ressource et les milieux” est-il ainsi écrit en toutes lettres. Carole Zakine avait déjà d’ailleurs averti de ce mouvement dans nos colonnes. “Les collectivités et les agences de l’eau sont appelées à gérer l’eau, l’État prend une posture plus lointaine avec des orientations très générales. Cette mise en œuvre de la planification écologique va générer une autre organisation administrative mais aussi un autre droit. Bienvenus aux droits mous, flous, souples des territoires qui viendront interpeller les normes classiques du droit dur (…)” écrivait-elle sur Linkedin la semaine passée.

Qui seront les seigneurs ?

“Au final, c’est la consécration, dans les faits de l’eau « bien commun », gérée par ses usagers qui se l’approprient” et la font changer de statut. “… L’eau, patrimoine commun inappropriable, devient un bien (…). C’est la question de l’intérêt général qui est posée. Car il n’y aura que des intérêts locaux particuliers” prévient-elle. Pas sûr que, dans ce contexte, les problématiques agricoles soient mieux prises en compte. Tout dépendra des rapports de force locaux. C’est ce que Carole Zakine résume comme un “retour vers un droit plus féodal” avant de s’interroger : “Mais qui seront les seigneurs ?” Bonne question.

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