Irriguer oui, mais jusqu’à quand ? [par Yann Kerveno]

La question est primordiale. Tout comme celle de l’irrigation. Alors comment faire mieux avec moins ? En sortant sa calculatrice…

Avec la sécheresse qui s’annonce en France, (pour l’instant, pour une fois, les Pyrénées-Orientales s’en sortent bien), la question des cultures irriguées fera de nouveau les gorges chaudes de l’actualité. Pourtant quand on dépasse le rideau (de buée) on se rend compte que l’irrigation n’a pas grand-chose à voir avec l’arrosage. Et qu’elle est essentielle à la bonne marche des agricultures mondiales.

Pourquoi ? Quelques chiffres suffiront à vous convaincre : “On considère que 320 millions d’hectares sont irrigués dans le monde, 70 % le sont en gravitaire, et les 30 % restant avec des systèmes sous pression. Dont les trois quarts par aspersion et le denier quart en goutte à goutte. Les deux plus grands pays irriguant sont la Chine et l’Inde avec chacun 50 millions d’hectares bénéficiant d’irrigation. Ce classement est ainsi parce qu’on y inclut les rizières, zones où on ne saurait faire autre chose que du gravitaire. Ces chiffres datent un peu mais on peut considérer que l’irrigation concerne 17 % de la surface arable mondiale et produit 40 % de la nourriture mondiale” explique le chercheur Bruno Molle, un des spécialistes français de la question. 17 % des surfaces pour 40 % de la production alimentaire planétaire.

Gérer le déficit

Dans son ancien laboratoire, il vient de faire valoir ses droits à la retraite, à l’Inrae de Montpellier, son collègue Bruno Cheviron travaille au futur de l’irrigation et en particulier l’utilisation de la modélisation comme outil d’aide à la décision. Pour mieux irriguer, quand la plante en a besoin et pour l’amener à son optimum. “Ces modèles ne remplacent pas l’expérience de l’agriculteur mais ils peuvent être de bons alliés pour gagner en efficacité.” Le chercheur montpelliérain avance alors un sujet relativement nouveau : l’irrigation légèrement déficitaire. À savoir un calcul d’un nouvel ordre pour guider les choix d’irrigation. “Il faut se dire que dans certaines situations, on ne va pas obtenir plus de rendements en arrosant plus. Il faut donc regarder les choses différemment et prendre en compte les variables de coûts (eau, électricité) qui font que le revenu maximum n’est pas forcément apporté par le rendement maximum. Quand vous représentez le rendement en fonction du cumul d’irrigation, vous dessinez ce qu’on appelle une fonction de production (courbe 1 sur le dessin). Sans irrigation, la biomasse produite est d’autant plus faible que la saison est sèche. L’irrigation est alors indispensable, potentiellement très efficace, très productive, mais pour ce faire le choix d’une bonne stratégie d’irrigation est d’autant plus crucial et difficile que les contraintes sont fortes (restrictions, quota, tours d’eau espacés, sols légers). En irriguant assez, on approche du maximum de rendement, mais en même temps la productivité de l’irrigation devient moindre et l’irrigation finira par coûter plus qu’elle ne rapporte. On s’en rend bien compte en regardant maintenant la courbe du revenu en fonction du cumul d’irrigation (courbe 2).”

Revenu plutôt que rendement

“En calculant le revenu comme le prix net de la culture multiplié par le rendement, moins les coûts fixes et les coûts variables (coût de l’eau – pas encore dissuasif en France – et coût de l’énergie – qui le devient), on constate que le maximum du revenu est atteint pour un cumul d’irrigation inférieur à celui qui est nécessaire pour atteindre le maximum du rendement, ce qui est déjà une forme d’incitation.
L’idée c’est de travailler sur le lien entre le rendement et le revenu des irriguants, en introduisant des récompenses qui inciteraient à une irrigation raisonnée, rendraient viables économiquement une irrigation (légèrement) déficitaire et des rendements sous-optimaux. Si l’État met une enveloppe à disposition des gestionnaires, alors cela peut fonctionner et toute la collectivité en profite. C’est un des axes de réflexions importants aujourd’hui. Jusqu’ici les paiements pour services environnementaux ont surtout privilégié le qualitatif et pas le quantitatif, pourtant c’est un levier possible important qui ne pénalise pas trop les irriguants et qui peut avoir un effet de seuil sur les débits ou les nappes en tension.” À vos calculettes ! Les nappes, bassines, canaux, n’attendent que cela !

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