Vigne : anticiper et s’adapter [par Yann Kerveno]

Le changement du climat prend un peu tout le monde de court. Et dans la vigne, il faut jongler entre l’adaptation au millésime et celle qui prépare le futur… Pas simple. Revue de détail des pistes à creuser avec Jean-Michel Barcelo.

Nous aurons finalement peut-être moins de temps que prévu pour adapter nos cultures au changement climatique. Il est donc urgent de réfléchir aux décisions à prendre, en particulier pour les cultures pérennes dont le pas de temps se compte en décennies au lieu d’une seule et simple saison. C’est le cas de la vigne. Quand on y regarde de plus près, les leviers ne sont pas très nombreux. On écartera d’emblée, pour le garder pour plus tard, la voie des cépages résistants à la sécheresse ou à la chaleur. Le développement de tels cépages prend des dizaines d’années, d’autant plus que l’Europe s’est pour l’instant interdit le recours à l’édition génétique.

La seule ouverture de ce côté, ce sont les cépages étrangers déjà en partie résistants aux conditions climatiques qui sont les nôtres aujourd’hui. Il y a les cépages espagnols, présents depuis un moment dans nos vignobles, mais aussi les cépages grecs qui ont été en particulier testés par la Chambre d’agriculture à Tresserre. Et qui n’ont pas forcément complètement convaincu, ni en rendement, ni en qualités organoleptiques.

Gobelet ?

“Pour autant, quand il s’agit des pénuries d’eau, la vigne n’est pas la plus mal lotie” fait remarquer Jean-Michel Barcelo. “On voit, dans le département, des domaines qui arrivent à 15 ou 20 tonnes à l’hectare sans irrigation, à condition d’avoir des terres fertiles et profondes. Aujourd’hui, la réflexion qu’il faut avoir c’est comment faire en sorte que les vignobles soient capables de valoriser à 100 % le peu d’eau qui tombe, il y a des techniques intéressantes pour cela.” C’est pourquoi, l’attention portée au sol, à sa composition, sa teneur en matières organiques sont aussi primordiales mais pas question pour autant d’écarter l’irrigation, quand elle est accessible, pour atténuer les effets de la météo et du climat.

Il faut aussi lutter contre le soleil et l’insolation excessive qui brûlent les raisins. “On se rend compte pour ça que la taille en gobelet est assez efficace en regard des performances des vignes palissées. Avec un port un peu tombant, en parapluie, les grappes sont mieux protégées des échaudages.” Problème, le gobelet a été en partie abandonnée pour permettre la mécanisation de la vigne.

Revoir les modalités de fertilisation

Et pour les vignes aujourd’hui palissées, “peut-être faut-il revoir les relevages, ne pas accrocher au fil supérieur pour laisser le feuillage protéger les grappes.” Cette question du feuillage est d’ailleurs cruciale à plus d’un titre. “Il y a un équilibre nouveau à trouver selon le contexte : plus il y a de feuilles, plus l’évapotranspiration est importante, mais trop réduire la surface foliaire pour la limiter, c’est prendre le risque d’exposer plus encore les grappes au soleil…” Jean-Michel Barcelo invite aussi à repenser la fertilisation de la vigne pour la rendre plus efficace. “Je pense que dans le contexte qui est le nôtre, les vignerons auraient intérêt à privilégier la fertilisation organique en lieu et place des engrais de synthèse qui n’ont pas de pouvoir pour retenir l’eau et ne sont pas dissous s’il ne pleut pas, comme en ce moment… Mais peut-être faut-il aussi réfléchir, en particulier cette année, à la fertilisation foliaire pour permettre aux plantes d’absorber les éléments fertilisants…”

Réduire la densité ?

Autre sujet à mettre sur la table pour réfléchir : la densité. “Aujourd’hui, la moyenne dans les Pyrénées-Orientales, c’est 4 400 pieds à l’hectare, adaptés à la mécanisation (plantés à 2,5 m par 90 centimètres). Elle était, avant, de 3 200 pieds à l’hectare, plantés à 1,75 mètre au carré, soit 37 % de moins” explique Jean-Michel Barcelo. Ce qui se joue avec la densité, c’est bien le stress imposé à la vigne. Plus il y a de pieds à l’hectare, plus la ressource en eau est partagée, donc moins importante. Cela avait pour intérêt de diminuer la vigueur des plantes, mais quand l’eau se fait plus rare, cela devient un handicap.

Pour autant, pas question de revenir aux plantations d’antan qui ne sont pas adaptées à la mécanisation, “mais peut-être y a-t-il des choses à inventer de ce côté-là, 2 mètres par 1,2 mètre ?” suggère-t-il. D’autant que diminuer la densité d’un tiers ou plus pourrait probablement s’effectuer sans perte de rendements, juste par le confort apporté à la vigne.

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