Lettre à ceux qui voulaient débaptiser la crèche Anne Franck [par Jean-Paul Pelras]

Dans le Nord-Est de l’Allemagne, à Tangerhütte, le conseil d’administration d’une garderie s’est prononcé pour que l’établissement ne porte plus le nom de la jeune fille juive, victime de la barbarie nazie, morte au camp de Bergen Belsen où elle fut internée entre 1942 et 1944. Et ce, après avoir vécu deux ans cachée avec sa famille dans un appartement d’Amsterdam où elle rédigea son journal mondialement connu. Selon Linda Shichor, directrice de la crèche, qui s’exprimait dans le journal Volksstimme : “nous voulions quelque chose sans arrière-plan politique”. Un lieu censé promouvoir “l’autodétermination et la diversité des enfants”, rajoute le maire de la ville. Un projet qui obéit à la volonté des parents et des employés. Lesquels évoquent une histoire, celle de l’holocauste et celle d’Anne Franck, difficile à comprendre pour ceux qui sont notamment issus de l’immigration.

En 2005, remplaçant au pied levé l’écrivain gardois Jean Carrière (Goncourt 1972), je prononçais à L’Agora de Nîmes un discours intitulé “Anne Franck, et le temps s’est écoulé” dans le cadre d’une exposition organisée par la fondation éponyme. À l’issue de mon intervention me fut donnée l’occasion d’échanger avec quelques participants d’origine juive. Je leur fis alors part de mon désaccord concernant la colonisation des territoires palestiniens et la construction du mur entre Israël et la Cisjordanie. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je suis passé de la standing ovation au statut de persona non grata. Et pourtant, oui pourtant, il faut pouvoir s’indigner à tout moment sans être conditionné par des considérations politiques. Car on peut très bien s’opposer à la contention d’un peuple tout en dénonçant “l’oubli” de celle qui mourut à 15 ans après avoir été privée, dans des conditions inhumaines, de liberté. À ce titre et peu importe le contexte, peu importe les raisons, la crèche Anne Franck ne doit surtout pas être débaptisée. Car nous devons à cette enfant plus qu’un devoir de mémoire. Nous lui devons, comme nous le devons à tous les opprimés, son éternité.

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