Lettre aux sénateurs et sénatrices qui se présentent ou vont se représenter [par Jean-Paul Pelras]

Madame, Monsieur,
d’ici quelques années ou quelques décennies peut-être, le Sénat aura disparu. Et les observateurs du moment se demanderont certainement pourquoi et surtout comment cette “maison” a su résister aussi longtemps aux réformes des institutions. Un mystère qu’il faut aborder avec beaucoup de circonspection à l’heure où, d’ici quelques jours, nous assisterons, comme tous les trois ans, au renouvellement de 170 parlementaires sur les 348 que compte le palais du Luxembourg.

Les sénateurs nouvellets ou à nouveau plébiscités sont élus par 160 000 grands électeurs, désignés parmi les 520 000 élus locaux que compte le pays. Soit 80 000 votants pour cette occurrence. Parmi eux, 1 900 conseillers régionaux et 4 000 conseillers départementaux délégués de droit, les conseillers municipaux des villes de plus de 9 000 habitants, des délégués élus par et parmi les conseillers municipaux des villes de moins de 9 000 habitants, un délégué supplémentaire tous les 800 habitants dans les villes de plus de 30 800 habitants. Voilà pour le modus opérandi qui n’est pas sans rappeler quelques suffrages étasuniens…

Passons à présent aux “salaires” qui sont de 7493,30 euros bruts par mois, soit 5 569, 05 euros net. Et rajoutons à cela les diverses “indemnisations” qui vous sont octroyées et qu’il ne faut surtout pas qualifier “d’avantages” eu égard à la pénibilité de la fonction qui vous est confiée par le peuple français.
Mais plutôt que de pinailler avec des comptes de boutiquiers concernant votre retraite, vos obsèques, vos frais vestimentaires, vos notes de restaurant avec ou sans invités, vos assistants, vos déplacements ou votre sécurité, évoquons ce chiffre : 348 millions d’euros et des brouettes correspondant au budget annuel du Sénat.
348 millions pour 348 sénateurs, soit un million pile, tout rond, pour assurer chaque année le bon déroulement de votre mandat. 348 briques, dont une dizaine, précisons-le, destinée à l’entretien des jardins qui vous permettent de vous ressourcer entre deux séances épuisantes et quelques non moins éprouvants déjeuners et diners (pris avec ou sans Monsieur Larcher). 348 millions, une paille comparée au déficit de plus de 3 000 milliards que doit supporter le pays.

Ceci étant dit, passons aux obligations de résultat. Il n’y en a pas ! Quand la seule sanction possible tombe lorsqu’il s’agit de renouveler l’exploit, autrement dit le mandat. Avec, nous l’avons évoqué précédemment, des grands électeurs qui vont décider pour nous dans la très démocratique politique politicienne de l’entre soi. Alors, évidemment, tout cela ne serait que roupie de sansonnet, peccadilles, bricoles, brimborions, babioles et autres insignifiants rogatons, si vous assumiez pleinement ce qui est écrit sur le manuel d’utilisation fourni par ladite institution : “Les sénateurs examinent et votent les lois. Ils assurent également un rôle de contre-pouvoir, en contrôlant le Gouvernement et en évaluant les politiques publiques”.

Seulement voilà, vous en conviendrez (peut-être), en matière de contrepouvoir et après les mois que nous venons de vivre consécutivement à une réforme des retraites validée par le Sénat après avoir été promulguée à la hussarde par quelques rafales de 49-3, nous sommes plusieurs dizaines de millions à nous demander à quoi servent désormais les assemblées qui font les lois, qu’elles soient sises palais du Luxembourg ou palais Bourbon.
Oui, à quoi servent les 348 millions attribués chaque année au Sénat, auxquels il faut rajouter 600 millions versés à l’Assemblée nationale (pour 577 députés) si ces institutions sont là pour subir ou valider les directives de Matignon et de l’Élysée, le doigt sur la couture du pantalon et unis, toutes obédiences confondues, lorsqu’il s’agit de voter la petite augmentation ?

La question est posée et elle sous-entend tout le désintérêt que les Français éprouvent désormais pour la chose publique, à l’aune d’une époque où la politique n’a jamais été autant déconsidérée, décriée, discréditée.

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