Lettre à un Général Français (Par Jean-Paul Pelras)
Monsieur,
Depuis plus d’un an et peut être même depuis le début du quinquennat en cours, il n’y a, même si le fait est minoré, pas eu de turbulence politique plus significative que celle suscitée ces jours-ci par « la tribune des généraux ».
Pourquoi ? Peut-être car, par les temps qui vont, votre parole est moins considérée (ou plus redoutée), que celle des scientifiques défilant depuis des mois sur les écrans de télévision. Peut-être car il ne s’agit pas ici d’une réaction émise par un quelconque parti politique, par un quelconque contre-pouvoir, mais plutôt car il s’agit d’un constat qui vient désigner une décomposition.
Si le chef de l’Etat ne s’est pas encore prononcé sur cette affaire, ses ministres et sa majorité ainsi qu’une bonne partie de la gauche n’ont pas manqué de condamner votre correspondance. Celle qui alerte sur « le délitement » du pays. Lorsque le Premier Ministre déclare « Ça pourrait être une affaire insignifiante s’il n’y avait pas une récupération politique tout à fait inacceptable » il est dans son rôle. Et ce, même si vous n’avez manifestement rallié, pour l’instant, aucune obédience.
Laissons donc de côté la récupération politique et occupons-nous de cette affaire peut être moins insignifiante qu’elle n’y parait. Pour étayer cette remarque, utilisons ce sondage commandé par LCI en début de semaine qui nous apprend que 58 % des Français soutiennent votre initiative. Le principe du sondage bénéficiant d’une estime à géométrie variable selon qu’il avantage ou désavantage les courants intéressés, certains diront qu’il ne s’agit que d’une consultation effectuée auprès d’un échantillon.
Ce “délitement” serait donc, pour ceux qui condamnent votre tribune, une vue de l’esprit, l’approche théorique d’un problème à relativiser, la traduction erronée de faits soi-disant jugulés par la République. Des faits qui ne peuvent pourtant plus être dissous dans le déni. Des faits, plus ou moins évoqués dans les médias, qui sont le quotidien de millions de Français. Des faits, effectivement pourquoi le taire, qui restent impunis ou qui ne peuvent être sanctionnés car le législateur s’est intéressé à d’autres priorités. Des priorités au demeurant plus confortables que celles nécessitant une écoute réellement adaptée au malaise ambiant.
Car la question, le soir venu, tourne désormais en boucle dans les chaumières : les exactions, les violences, les attentats ne peuvent plus être contenus ou combattus avec des déclarations solennelles, des paroles de compassion, des cérémonies, des médailles déposées sur des cercueils, des lois égrenées derrière le chapelet du temps qui passe. Ce temps qui creuse le fossé des rancœurs, des inimitiés et des différences que seule une économie revigorée pourra combler en sollicitant, entre autres, les résultats de la Finance dans un pays où les milliardaires ne se sont jamais aussi bien portés. Une économie où l’argent public serait mobilisé, non pas pour satisfaire quelques lubies politiques sans lendemain, mais pour répondre aux réelles attentes des Français, en matière d’emploi, de santé, d’éducation, de justice, de sécurité…
L’urgence n’est peut-être plus de savoir si le déchet est bien trié, si le sapin de Noël et le Tour de France sont un danger pour la planète, s’il faut imposer la suppression du diesel à ceux qui vont travailler et celle des chaudières à ceux qui doivent se chauffer, si l’écriture inclusive et la couleur des mots vont faire évoluer nos mentalités, si le menu végétarien doit être imposé à nos enfants, si le fait qu’un président veuille assister à un concert puisse inaugurer une nouvelle aire de libertés… L’urgence consiste à laisser de côté toutes ces gesticulations médiatiques, égocentrées, coûteuses et inutiles pour se consacrer à l’essentiel. Car le point de bascule est atteint où le courage politique ne se mesure plus à l’aune des déclarations, mais à la portée de l’action.
Que vous ayez, Monsieur, outrepassé ou non le cadre de vos attributions importe peu finalement. Que le Gouvernement décide de ne pas considérer votre démarche ne fait que déplacer le problème. Car ce délitement, cette décomposition sociale et sociétale va se dégrader inexorablement. Nous le savons. Ceux qui sont pour les généraux le savent. Ceux qui sont contre les généraux le savent. Ceux qui ne sont ni pour, ni contre les généraux le savent. Ceux qui entretiennent le chaos le savent. Ceux qui préfèrent ne pas en parler le savent… A droite, à gauche, chez les extrêmes, à l’Elysée, à Matignon, dans les Assemblées, en marche ou à l’arrêt, du plus haut sommet de l’Etat à la plus petite commune du canton tout le monde redoute le jour où la digue va céder. Le jour où les mots ne suffiront plus, le jour où l’étincelle viendra de la rue. Ce jour-là, ce jour maudit, il ne s’agira plus de savoir qui a eu raison trop tôt ou qui s’en est aperçu trop tard. Mais bien de trouver celui qui aura suffisamment d’audace, de panache, d’intelligence et de courage pour que notre pays retrouve enfin les chemins de l’espoir.
Jean-Paul Pelras