Lettre à Gerald Bronner, qui veut nous apprendre à penser [par Jean-Paul Pelras]

Monsieur,
lorsque, voilà environ 18 mois, le premier d’entre nous décida avec son gouvernement de limiter à un kilomètre le périmètre de nos déplacements, lorsque l’on a laissé mourir nos anciens loin de leurs familles sans savoir qui du virus ou du chagrin était venu les chercher, lorsque l’on nous a interdit d’aller prendre notre premier café au troquet du coin, nous avons été quelques-uns à pressentir les entorses aux paroles données, à comprendre que la capacité d’indignation était menacée.
Depuis, des voix se sont élevées que l’on a stigmatisées, la possibilité de douter relevant du blasphème, de l’outrage, de l’impiété. La France des médias et des chiffres, celle des certitudes scientifiques et des pirouettes politiques est alors devenue le pays des partitions où les purs et les impurs se sont mis à confronter leurs opinions.

Et voilà que le président de la République vient de vous confier la responsabilité d’une énième commission intitulée “Les lumières à l’ère du numérique”. Travail qui doit être rendu fin décembre et que nous prendrons certainement l’habitude de nommer “Rapport Bronner”. Intitulé éponyme qui vous permettra peut-être de figurer dans les livres d’histoire au chapitre “Liberté d’expression”. Vous écriviez vous même, en août dans le JDD, en parlant des manifestants : “C’est la tyrannie des minorités de faire passer de la visibilité pour de la représentativité. Ils sont si bruyants qu’on a tendance à croire qu’ils sont représentatifs…” Voilà qui renseigne d’emblée sur votre objectivité.
Avec treize personnalités, vous allez travailler sur la diffusion des théories complotistes au travers de huit thématiques : la régulation algorithmique, le financement des infox, le développement de l’esprit critique, la liberté éditoriale des médias face à la pression de la dérégulation du marché de l’information, les types de dispositifs juridiques possibles, les mécanismes psychologiques et sociologiques qui conduisent à la diffusion de fausses nouvelles, les ingérences étrangères, quel type de citoyenneté numérique et d’espace démocratique renouvelé peut-on penser.

Mais qui êtes-vous en définitive Monsieur Bronner pour, justement, nous apprendre à penser, pour jauger ce qu’est “la liberté éditoriale des médias…” ? Si ce n’est, bien sûr, ce sociologue, romancier, professeur d’université, membre de l’Académie nationale de Médecine et autre chercheur en sciences sociales. Autrement dit, de toute évidence, un érudit soi-disant qualifié pour analyser les mouvements de notre société.
Vous voilà donc, Monsieur, mandaté par le pouvoir pour débusquer celles et ceux qui fomentent la conspiration. Équipé d’un simple brevet agricole et de nature assez terre à terre, permettez-moi très modestement ce conseil : arrêtez de voir des complotistes partout car vous allez finir par leur ressembler. Et commencez par démêler l’écheveau des consciences. C’est à cela que nous reconnaîtrons votre impartialité.

Vous dites “Il ne s’agit pas de censurer des points de vue, mais de donner la parole à la mesure de ce que ces paroles pèsent dans le monde scientifique”. Vous voilà donc ambassadeur des sciences volumétriques. Mais où est le curseur, Monsieur Bronner ? Si ce n’est dans cette portion consubstantielle, dans cet inavouable collusion avec le pouvoir qui passe commande, non pas d’un rapport, mais d’un blanc-seing cautionné par 14 individus autorisés. Demandez-vous, à ce titre, pourquoi les réseaux sociaux, où se nouent soi-disant toutes les conjurations, ont remplacé les conversations au comptoir des bistrots, dans les restaurants, au coin de la rue, au stade, à la salle des fêtes, dans les réunions…
Et vous comprendrez (peut-être) que c’est tout simplement car, pendant des mois, les gens sont allés chercher sur des écrans d’ordinateurs ce qu’ils ne pouvaient plus trouver ailleurs. Nul besoin d’avoir fait 20 ans d’études pour comprendre ce que devient le quotidien d’un individu quand, le soir venu, privé de tout ce qui constitue son lien social, il s’en remet au prisme des écrans et cherche la vérité ailleurs qu’au journal de 20 h ou auprès des médias subventionnés.

Prenez, à ce propos, quelques heures pour disserter sur les influences de la presse sponsorisée et vous y trouverez peut-être les motivations de celles et ceux qui ont osé douter. Enfin, demandez-vous pourquoi même le président de la République choisit de communiquer via les réseaux sociaux, entre deux gages prépubères échangés avec Mac Fly et Carlito !

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