Lettre à ceux qui veulent nous faire bouffer des insectes [par Jean-Paul Pelras]

Mesdames, Messieurs,
j’étais sur le point d’adresser ma correspondance hebdomadaire à Éric Dupond Moretti qui chassait, la semaine dernière, les mouches sur les bancs de l’Assemblée nationale, quand je tombe sur un reportage diffusé par TF1 concernant la consommation d’insectes. J’abandonne alors l’idée du diptère occis par ce bras d’honneur qui, nous dit Gabriel Attal, n’en était pas un. Et je décide d’orienter mon propos vers l’entomophagie. Au gré de mes recherches, je parcours, sur internet, des dizaines de catalogues vantant les mérites, les vertus et les recettes permettant, me dit-on, d’accommoder plus de 2 000 espèces.

Étrange société où, il n’y a pas si longtemps encore, lorsque l’on voyait une mouche vibrionner dans la cuisine d’un restaurant ou une blatte se faufiler sous les lames du plancher, l’enseigne était in petto, désignée, contrôlée, ad vitam aeternam frappée du sceau de la honte, déshonorée, définitivement barricadée. Alors que, désormais, l’opprobre change de camp et s’invite chez ceux qui osent encore commander une entrecôte, un pot au feu, une blanquette, un civet, une daube, un faux filet, qu’il soit à point, bleu ou saignant.
Mais revenons à ces catalogues difficiles à feuilleter sans éprouver une certaine aversion puisqu’ils proposent des sucettes d’insectes, de la tarentule, du cricket, des vers de farine, de la pense de fourmi farcie, de la sauterelle, du scarabée, de l’abeille, du scorpion, du termite, de la libellule, du grillon… Certains d’entre vous, équipés du petit manuel du parfait écolo, nous répètent pourtant depuis des années que les insectes disparaissent, que leur devenir est en danger. Les bouffer va-t-il contribuer à les sauver ? N’étant pas à une contradiction près, vous risquez bien de nous faire avaler n’importe quoi pour fourguer vos convictions.

À l’instar de la commission européenne qui vient d’autoriser l’incorporation de farines d’insectes par le biais d’une loi promulguée début 2023. L’UE autorise l’ajout de grillons domestiques dans les produits de boulangerie, les pâtes et autres produits finis partiels “destinés à la population générale”. Il peut s’agir de vers de farine jaunes : “Ce nouvel aliment peut être utilisé comme insecte séché entier sous forme de collation ou comme ingrédient d’un certain nombre de produits alimentaires, par exemple sous forme de poudre dans des produits protéiques, biscuits ou produits à base de pâtes”, précise Bruxelles.
Il faudra donc, dans le panier à provisions, faire suivre ses lunettes si l’on veut vérifier les étiquettes et consulter les dénominations : ver de farine, Tenebrio molitor, Locata migratoria, Acheta domesticus. Le retour du latin en quelque sorte sur les produits transformés à base de céréales ou de pommes de terre, de légumineuses, sur les pâtes et autres pizzas ou plats cuisinés.

Vous êtes donc parvenus, comme vous êtes sur le point de le faire avec les viandes de synthèse et autres steaks végétaux, à imposer vos lubies, vos dogmes et, pourquoi le taire, vos lobbies commerciaux. Insidieusement, à notre cœur et à notre estomac défendants, vous vous apprêtez à coloniser nos placards, nos gardes mangers, nos frigos, nos buffets. Partout là où les insectes étaient considérés comme étant persona non grata pour les saloperies qu’ils pouvaient transmettre, la hantise qu’ils véhiculaient. Cette propension à vouloir nous imposer vos goûts et votre idéologie atteint ici des limites qui n’auraient jamais dû être franchies. En résumé : mangez ce que vous voulez et foutez-nous la paix.

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