Lettre au ministre des Transports à propos du pont de Millau [par Jean-Paul Pelras]
Monsieur le ministre,
dans votre grande mansuétude et afin de lutter contre la baisse du pouvoir d’achat, dont la responsabilité ne peut bien sûr être imputable ni à votre gouvernement, ni à la gestion de notre pays par le promoteur d’Uber et de McKinsey, vous venez de demander un “geste” aux sociétés d’autoroute. L’État ayant, selon vous, concentré ses efforts sur le carburant, vous réclamez donc aux rentiers du bitume une baisse du prix des péages. Timide injonction qui devrait évidemment recueillir l’assentiment des Français, sachant toutefois que, à l’instar, des carburants taxés à 60 %, le ticket autoroutier l’est tout de même à 20 %. Nonobstant ces modestes profits, vous avez donc décidé de réclamer aux privés ce que le public ne peut plus octroyer.
Afin d’étayer votre proposition, je vous suggère un petit déplacement du côté de Millau où, depuis décembre 2004, l’imposant édifice enjambe le Tarn sur une longueur de 2 460 mètres. Emprunté du 1er janvier au 31 décembre par plus de 5 millions d’usagers, il rapporte à ses actionnaires plus de 21 millions d’euros par an et serait, à ce titre, le péage le plus rentable de France avec un gain annuel de 6,4 millions d’euros du kilomètre contre 350 000 pour la moyenne des 17 sociétés d’autoroute françaises (sources Auto Plus). Pour y circuler régulièrement lors de ces déplacements qui me conduisent des Pyrénées vers l’Aubrac et vice versa, j’ai pu mesurer des dizaines de fois l’impressionnante portée de l’édifice et celle tout aussi extravagante de ses bénéfices.
Pour illustrer ce propos et renseigner votre ministère, sachez Monsieur Beaune que le 14 juin j’acquittais 9,50 euros pour traverser le pont. Dix jours plus tard, il m’en coûtait 11,70 euros. Dans l’intervalle, nous étions passés du printemps à l’été, le changement de saison justifiant, de toute évidence, ladite augmentation de plus de 20 % tout de même. Précisons, par ailleurs, que les poids lourds doivent débourser 40,30 euros s’ils ne veulent ou ne peuvent pas descendre sur Millau.
En regardant ce ticket, je me suis soudainement demandé si ceux qui ont investi dans cet ouvrage n’avaient pas migré en Ukraine, pays, nous le savons, responsable de toutes les inflations subies par le contribuable français. Oui, je me suis demandé si le pont de Millau n’était pas à son tour frappé par la malédiction économique qui concerne la moutarde, le bois, l’huile, les pâtes, les composants électroniques, les voitures, les métaux, les céréales, le gaz, les carburants, l’électricité et à peu près tout ce que nous consommons.
Plus de 20 % d’augmentation, Monsieur le ministre, pour engranger encore plus de fric pendant cette période estivale où, de surcroit, la fréquentation du pont, haut de 343 mètres, enregistre plus de 40 % des passages annuels. 23,40 euros l’aller-retour qu’il faut rajouter aux coûts du carburant et à ceux des péages situés en aval et en amont de l’A75.
Traverser la France, Monsieur Beaune, coûte désormais un “pognon de dingue” à ceux qui osent le périple. Et c’est, à terme, de multiples secteurs économiques qui pourraient en faire les frais. Nous serons, à ce propos, certainement nombreux à être très attentifs à vos propositions, curieux de savoir si les concessionnaires accepteront enfin de faire quelques concessions.