Lettre à une infirmière [par Jean-Paul Pelras]

Madame,
vous m’avez écrit récemment, probablement depuis l’Aveyron, le Cantal ou la Lozère, quelque part sur l’Aubrac où vous consultez mes correspondances, pour m’encourager à continuer. Je vous en remercie. Vous étiez infirmière, vous ne l’êtes plus car vous n’avez pas voulu céder aux injonctions de l’injection et, manifestement, avez dû changer de profession. Vous ne signez pas votre lettre. Pourquoi ? Et bien tout simplement car la crainte d’être désignée ou stigmatisée vous poursuit. Et pourtant vous étiez de celles que l’on applaudissait à la nuit tombée et que l’on remerciait avec des concerts de casseroles pour saluer votre dévouement, votre courage et votre engagement.

Une fois évacué le temps des acclamations est donc arrivé celui des blâmes, de l’anathème, des sanctions et de l’exclusion. Vous êtes des milliers à avoir été concernées par ce choix, des milliers à avoir été contraintes, à avoir cédé ou pas. À présent que, du côté de la pandémie, le ciel semble s’éclaircir alors qu’il s’obscurcit par-delà les Carpates, nous oublions ce que fut votre combat. Tout comme nous oublions ce kilomètre que nous ne pouvions dépasser, cette plage où, même en plein hiver, nous ne pouvions aller nous promener, ce sauf-conduit qu’il fallait montrer pour aller à l’épicerie, ces rayons de supermarchés interdits car ils étaient ceux des jouets ou de la lingerie, le regard des anciens perdus derrière les fenêtres du désespoir, le ramasseur de champignons verbalisé car il avait osé s’aventurer dans le bois d’à côté, le sandwich qu’il fallait manger avant de monter dans le train, le bistrot fermé, puis le bistrot autorisé moyennant le laisser passer, puis le bistrot où il fallait obligatoirement s’asseoir sur une chaise ou un tabouret… Et pendant ce temps, chaque matin et chaque soir, des millions de citadins agglutinés dans le métro. Mais ça aussi nous l’avons oublié, comme nous pardonnons finalement assez facilement “à ceux qui nous ont offensés”.

Votre lettre, Madame, où vous évoquez très succinctement votre sort, synthétise à elle seule ce que notre société est devenue. Cette société où la résilience, chère aux gouvernants du moment, s’est transformée en résignation, où l’indignation tourne au complotisme, où l’interrogation est immédiatement censurée par le suivisme. D’où l’absence de paraphe au bas de votre courrier. Parce que vous en êtes là, à ne plus oser dire ce que vous pensez par crainte d’être ostracisée, alors que vous n’avez rien fait d’autre que soigner. Soigner ! Même les législateurs, obéissants et disciplinés, ont oublié ce que vous faisiez.

Ne regrettez rien Madame. Vous avez accompli votre part. Et vous pouvez croiser sans ciller le regard ingrat de ceux qui ont jeté la pierre à celle qui, jour après jour, car vous y étiez encore autorisée, se rendait à leur chevet.

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