Les rêves éveillés de Nando [par Yann Kerveno]

Alors, à l’origine, il n’est pas du métier, ni de la région, ce qui en fait un outsider, avec tous les atouts pour réussir. Nando Rodrigues s’est installé vigneron à Maury et a réalisé sa première vendange en 2018.

N’être pas du sérail autorise bien des audaces. Le bâtiment qu’il vient de faire sortir de terre en bordure du hameau viticole déployé par la commune pour abriter son domaine n’emprunte rien aux codes de la tradition. Il est moderne, le béton est partout, seule la façade est habillée de pierres qui rappellent celles où s’escriment les vignes alentour. Quand on y entre, il y a de quoi être surpris si l’on n’est pas prévenu.
Nando guide la visite. Au rez-de-chaussée, la table de tri, les cuves en béton, certaines en forme d’œuf ou en inox, la chambre froide, le bouquet des tuyaux qui sert à transvaser les jus d’ici à là-bas pour qu’ils vivent leur vie et se muent en vin. Au sous-sol, il y a le chai à barriques, éclairé par des lustres qu’on imagine plus dans une salle à manger que dans un tel lieu. Puis, derrière une forte grille d’acier, une longue table qu’on dirait sortie d’un film noir, et des casiers aux murs. Qu’est-ce donc ? “C’est un espace ou on peut acheter un casier, puis acquérir du vin chaque année et profiter de cette salle avec sa cave personnelle pour inviter ses amis, ses clients…”

Œnotourisme

On touche là au cœur du projet qu’il a échafaudé. En plus du vin, il a conçu le bâtiment pour recevoir. Au premier étage se trouve un loft avec une vaste terrasse ouverte sur le vignoble qu’il compte louer pour des séminaires pour une quinzaine de personnes. Il a chiné les meubles qui composent ce décor soigné et chic. Il va aussi installer une borne électrique pour la recharge des véhicules…


Et le grand Christ qui surveille les barriques, là-bas, sur le mur du fond du chai à barrique, Nando, c’est pour le décor ou une conviction ? “Non, c’est mon histoire. J’ai perdu ma mère quand j’avais trente ans, mais avant, elle m’a éduqué à aller à la messe tous les dimanches jusqu’à 16 ans. Après, voilà, ce Christ c’est elle, elle est là, je pense à elle quand je travaille dans le chai et j’aime bien l’idée qu’elle me regarde travailler…” Sa vie de jeune homme, jusqu’à ses dix-huit ans, c’était au Portugal, avant l’exil en France et ses débuts dans le monde du bâtiment. “Puis j’ai fait mon bonhomme de chemin, j’ai créé des sociétés, une à Perpignan, une autre à Montpellier, puis enfin à Marseille, toujours en essayant d’évoluer, de ne pas refaire la même chose. Aujourd’hui elles emploient 220 personnes” détaille-t-il.

Quelques arpents

C’est par une autre femme, Corinne, son épouse, par qui est arrivée la vigne. “Maury, c’est l’endroit où elle a grandi et c’est important” précise-t-il, lui, l’exilé. Avec le rachat de la maison familiale de son épouse, viennent quelques arpents de vignes, un vieux carignan d’une cinquantaine d’années, l’occasion de renouer avec sa jeunesse, quand, chez lui, au Portugal, il faisait le vin avec son père pour la famille tous les ans. Là, c’est dans le garage, avec un vieux pressoir qu’il est allé chercher chez ses parents.
“Depuis lors, la passion m’a dévoré”. Il a acquis quatre hectares, principalement des vieilles vignes et s’occupe lui-même de tous les travaux qu’elles réclament. Leur gestion est minimale. Peu d’intrants, du soufre, de la bouillie bordelaise, il fait attention aux cycles lunaires mais se fiche de la bio. Il laisse pousser l’herbe jusqu’en fin de printemps pour en faire un paillage et maintenir de l’humidité dans le sol. Puis supervise les vinifications sans œnologue, en se servant des résultats des analyses qu’il fait réaliser.

Chaque année est une nouvelle entreprise

À 58 ans, il a délégué la gestion quotidienne de ses trois entreprises et se consacre à plein temps à son domaine. “J’ai trouvé le moyen d’occuper ma retraite tout en restant entrepreneur. Parce que, chaque année, chaque vendange, c’est comme créer une entreprise, je veux faire des vins différents à chaque fois. Et puis, c’est un investissement dont je ne verrai pas la rentabilité d’ici à ma mort.”
Ses vins sont commercialisés sous la marque Cosmicus. “Je voulais utiliser « Cosmopolite », parce que je me sens cosmopolite, mais cela ne sonnait pas très bien, alors j’ai demandé à Google de la traduire en latin et je suis tombé sur Cosmicus. C’était parfait.”
Et le nom du domaine ? Cuvons Lajoie ? C’est encore une influence de son épouse. “C’est un surnom donné à sa famille, les Lajoie, car ils sont joyeux, alors voilà nous Cuvons Lajoie !” Peut-être aussi parce qu’il y a du bonheur à avoir trouvé un nouveau point d’ancrage ? Et depuis, il rêve de voir le vignoble et les vignerons de Maury s’entendre, travailler plus ensemble, pour faire reconnaître le grand potentiel de ces vignes fichées dans les schistes.

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