Banyuls-sur-Mer : les Amis de l’Étoile dans leur vignoble [par Pepico Carrero]
Mais quelle mouche avait piqué ces soixante personnes réunies samedi dernier au plus haut du vignoble de Banyuls ? Peu d’ombre, une piste défoncée, une chaleur de gueux dans un concert de cigales assourdissant, de quoi attraper un mal de cap carabiné. Il s’agissait tout simplement de la première assemblée générale des Amis de l’Étoile, un groupement foncier viticole crée il y a quelques mois par la coopérative de l’Étoile.
Une initiative qui, si à elle seule ne sauvera pas le cru, mérite que l’on s’y attarde. La déprise agricole s’installant durablement, 20 à 30 ha finissent en landes chaque année sur Collioure, Port-Vendres, Banyuls et Cerbère, l’Étoile et son président Jean-Pierre Centène ont réagi et pris cette initiative. Une idée toute simple mais il fallait y penser. Le ticket d’entrée dans ce groupement est à 3 000 euros et y souscrit qui le désire, pour autant de parts qu’il veut. Attention ! Il ne s’agit aucunement de dons, les investisseurs sont bien rémunérés, annuellement, à hauteur de 4 %, et ce dès la première année, leur intérêt leur étant versé en bouteilles de vin.
Et ce qui ressemblait à une improbable bricole s’est rapidement transformé en succès, puisque presque 500 000 euros ont été rassemblés. Une partie a servi à acheter un domaine, au cœur même du vignoble, à deux pas du mas des Abeilles, où l’histoire du peuplement de Banyuls a débuté il y a plus de mille ans. L’Étoile se charge de travailler les vignes, de vinifier et de commercialiser les récoltes. Bien entendu, les promoteurs de la démarche sont bien conscients qu’il ne s’agit que d’un modeste début de solution au regard des problèmes du cru, mais une cuvée de Collioure de l’Étoile n’a-t-elle pas été baptisée Colibri ?
L’initiative, quasi-unique en France, permet de sauvegarder une partie du vignoble et surtout de conserver les paysages qui font l’attractivité de ce lieu unique. Et qui dit bel environnement dit tout simplement vie. La vigne, ici plus qu’ailleurs, est la clé de voute de ce cercle vertueux, car quel en serait l’attrait sans ces vignes millénaires qui sculptent les collines ?
Soixante investisseurs
Soixante investisseurs originaires de toutes les régions de France, qui, outre le plaisir du vin, ont décidé d’apporter leur pierre à l’édifice pour des raisons toutes personnelles. Ainsi Mgr Centène, évêque de Vannes dans le Morbihan. “Mes racines sont plantées ici. J’aime ce terroir. Mon grand-père et mon père, viticulteurs, ont présidé aux destinées de l’Étoile de longues années durant. Je suis moi-même viticulteur et quand j’ai eu connaissance du projet je n’ai pas hésité.”
L’engagement de François, résidant dans les Hautes-Pyrénées doit tout au souvenir d’un moment passé avec une jeune fille connue à l’adolescence. “J’avais bu de ce vin avec une jeune fille près de Paulilles et c’était extraordinaire. Le vin, le cadre… Quand j’ai eu connaissance du projet j’y ai aussitôt souscrit. Pas pour la rentabilité, pour l’amour du lieu et de ses vins. Je suis venu aujourd’hui pour l’assemblée-générale et découvrir les vignes du domaine.”
Olivier Reynal, caviste aux Caves du Roussillon va plus loin. “Si on n’aide pas à sauver ce qui peut l’être, ce sera irréversible. Ce groupement est une idée géniale. Il permet de reprendre des vignes condamnées tout en donnant du travail et en préservant ces somptueux paysages. Si tout cela venait à disparaître, ce serait comme si on effaçait le Canigou de notre horizon.”
Plus qu’un succès d’estime, même si à l’Étoile, la politique des petits pas est de mise. Le président Centène se voit bien reprendre 20 ha de plus mais… les bras manquent. Les volontaires ne se bousculent pas pour œuvrer sur ces pentes, battues l’hiver par une glaciale tramontane, écrasées l’été par une chaleur torride. L’Étoile réfléchit donc à inventer des solutions “alternatives “ qui rendraient ce travail un peu plus attractif, car le président Centène mise beaucoup sur le personnel de la cave coopérative. “L’Étoile repose aujourd’hui sur trois piliers. Les coopérateurs, bien entendu, le personnel, dont l’engagement est immense, et maintenant les Amis de l’Étoile.” Le président compte d’ailleurs beaucoup sur les compétences et le carnet d’adresses de ces derniers dont certains, d’ores et déjà, s’impliquent bien au-delà de leur investissement.
Une nouvelle façon de dynamiser le système coopératif qui parfois, comme partout, s’essouffle un peu. Des investisseurs ambassadeurs de l’Étoile et au-delà du cru, il fallait y penser.