Gestions des crises et de l’inflation : le ras le bol des artisans ! [par Thierry Masdéu]

Comme il est de coutume, le mois de janvier, propice aux vœux et partages de galettes, marque également l’heure des bilans économiques. L’occasion pour Robert Massuet, président de l’Union des entreprises de proximité des P.-O. (U2P) de nous communiquer son analyse et ses craintes sur les conséquences du cumul des crises successives. Notamment, dernière en date, celle sur la nouvelle réforme des retraites qui, apparemment, ne fait pas l’unanimité entre la position des artisans et celle de leurs représentants nationaux.

Avec cette énième crise de l’énergie, comment se porte le tissu économique dans l’artisanat ?

Même si elles font le maximum pour ne pas y laisser des plumes, je pense que nos entreprises artisanales ne vont pas sortir indemnes de cette crise énergétique, qui s’annonce plus compliquée à surmonter que celle de la pandémie. Il est fort regrettable que les deux ans de crise sanitaire n’aient pas servi de leçon sur notre dépendance à presque tout ! Il faudrait, comme l’ont fait nos voisins de l’Espagne et du Portugal, que nous puissions nous libérer de ce carcan du marché européen de l’électricité qui est indexé sur le prix du gaz et qui nous handicape sur la compétitivité. D’autant que le coût des matières premières continue à la hausse et la pénurie de main d’œuvre qualifiée persiste. Même si dans nos corps de métiers les carnets de commandes sont remplis, au rythme auquel nous avons enchainé les crises, il est très difficile de se projeter sereinement dans un futur assez proche.

Vous craignez des défaillances d’entreprises ?

Chez nos artisans, l’inquiétude est palpable et beaucoup s’interrogent si, déjà, ils pourront dégager des marges sur les contrats signés ! Tout comme la crainte de voir l’inflation impacter le pouvoir d’achat de leurs clients qui pourraient reporter ou, tout simplement, ne plus engager les travaux prévus. Entre les efforts réalisés sur les marges pour conserver la clientèle ou le remboursement des PGE, la trésorerie de bon nombre d’entreprises est au plus mal et l’on constate une recrudescence de contentieux avec l’URSSAF. Malheureusement, oui, je crains des défaillances d’entreprises.

L’autre interrogation qui s’invite au milieu de ces crises et qui auparavant n’avait jamais autant effleuré les esprits, concerne la santé morale des chefs d’entreprises ?

Effectivement et depuis deux ans, les fortes pressions et crises successives que subissent les artisans ont sérieusement entamé leur âme d’entrepreneur. Psychologiquement, vont-ils tenir le coup ? La question n’est pas à prendre à la légère, beaucoup n’en dorment pas, certains, qui n’ont aucun souci de commandes, décident d’arrêter l’activité ! Nous constatons même des abandons de projets en cours concernant certaines créations d’entreprises, ce qui amène une autre réflexion sur le futur des reprises ou des transmissions. Le contexte économique actuel est très délicat et anxiogène, et, par nature, l’artisan, même s’il va mal, a du mal à se confier. Son entreprise, c’est son bébé et malheureusement, quand il ose faire ce pas, c’est souvent trop tard pour que nous puissions l’aider. Mais ce qui m’inquiète le plus, concerne ceux qui envisageraient de commettre l’irréparable, dont on parle peu, le suicide !

Vos représentants au niveau national de l’U2P, se disent favorables pour adhérer au projet de loi de la nouvelle réforme des retraites. C’est une position que vous ne semblez pas partager, comme d’ailleurs bon nombre de sections départementales de l’U2P ?

Bien sûr que je n’y adhère pas et que nous n’y adhérons pas ! C’est un positionnement absurde, totalement décalé avec la réalité et nos représentants du national auraient dû à minima s’abstenir de crier victoire devant l’exécutif ! Je trouve qu’aujourd’hui on régresse en portant à 2 ans de plus l’âge légal du départ en retraite ! C’est simple, je fais une comparaison entre mon père, né en 1930, qui a commencé à travailler à l’âge de 16 ans pour terminer à l’âge de 60 ans et mon cas, où j’ai débuté à l’âge de 18 ans et je vais prochainement m’arrêter à 62 ans. Résultat des courses, moi qui suis né 29 ans après mon père j’aurais travaillé le même nombre d’années que lui et demain, avec ce que propose la nouvelle réforme, celui qui aura débuté au même âge que moi devra, en comparaison, travailler 2 ans de plus ! Donc on est bel et bien en régression.

Ce levier, qui consiste donc à repousser l’âge de 62 ans à 64 ans pour prévenir de possibles déficits dans les caisses de retraites, est un mauvais choix du gouvernement Macron ?

C’est une aberration et pour plusieurs raisons, comme par exemple au niveau de l’emploi. Nous avons trop de chômeurs qu’il faudrait rapidement remettre au travail, car il est anormal qu’une partie de la population travaille pour celle qui ne le souhaite pas ! Tout comme au niveau des normes de sécurité au travail. On nous interdit de faire monter des jeunes sur des échelles, mais on ne verra pas d’inconvénient à le laisser faire à des personnes âgées de 62 ans et plus, ou qu’elles gravissent des échafaudages et continuent à monter encore sur des toits ! Ce report de l’âge est contre-productif, car il bloquera des postes pour les jeunes et n’amènera que des inconvénients sociaux et économiques dans les entreprises. L’usure au travail n’est pas une fiction et même s’il sera tenu compte de la pénibilité, on n’a pas fini d’avoir des ruptures conventionnelles, des arrêts maladie. Et qui va payer tout ça !

Des propos que ce représentant des artisans des P.-O. ne manquera pas de rappeler à l’occasion des vœux de l’Alliance économique. Une cérémonie qui aura lieu ce jeudi 26 janvier à 18 h 30 au Couvent des Minimes de Perpignan et qui va fédérer les représentations des trois plus grands syndicats du département, l’U2P, l’UPE66/MEDEF et la FDSEA.

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