En médecine, nous avons plus d’ordinateurs que de stéthoscopes… (Par Jean-Marc Majeau)
Cette épidémie de la Covid aurait pu, aurait dû même, confirmer ce que nous croyions depuis des années : le fait que nous avions le meilleur système de santé au monde. En février, alors que l’Italie puis l’Espagne se confinaient et déploraient un nombre de décès hallucinant, nous entendions les responsables de notre pays prétendre que le mode de vie et le système de soins transalpin et ibérique étaient tellement incomparables au nôtre que nous n’aurions pas à déplorer la même évolution, évidemment. Quelques semaines plus tard, nous avions pourtant un résultat aussi dramatique que celui de nos voisins. Enfin, au moins des deux pays présumés plus modestes que nous. Pour ce qui concernait l’Allemagne, l’analyse était différente. La mortalité était plus faible, l’engorgement des hôpitaux incomparable et l’affolement mieux contenu. Cela tenait, selon le ministre, au décalage temporel entre eux et nous, l’épidémie ayant débuté plus tôt pour nous, évoluant du Sud au Nord. Las ! Plusieurs mois plus tard, le constat est clair : l’Allemagne déplore moins de 10 000 décès quand nous, Italiens, Espagnols et Français en avons chacun plus de 32 000. Bien sûr nous n’avions ni masques ni tests au moment où ils étaient indispensables. Les teutons, eux, les avaient.
Mais cela n’explique pas tout ! La grande différence entre eux et nous vient, à budget égal, de l’organisation du système de soins. Tous ceux qui travaillent dans le secteur de la santé vous le diront : en terme de moyens mis à la disposition des patients, nous ne faisons pas mieux que l’Espagne et l’Italie, avec un budget pourtant bien supérieur. L’Allemagne fait beaucoup mieux. Pourquoi ? Uniquement en raison d’une meilleure répartition des effectifs. Là où ils ont choisi de mettre des praticiens de terrain et d’armer des lits, nous les supprimons au profit des postes administratifs. C’est un constat que nous faisons depuis des années : outre la fermeture des services, outre les vacances de postes, la majorité des embauches sont exclusivement destinées à des tâches éloignées des soins, dédiées à l’informatique et au contrôle de l’activité.
Plus d’informaticiens que d’infirmières, plus de directeurs que de médecins…
Une multitude de chefs, de cadres de santé détachés à des tâches bureaucratiques et à l’organisation de réunions chronophages et répétitives. Des CME, des CLUD, des CLIN, des CLAN, des COMEDIMS, des CHSCT, autant d’acronymes imposés par les ARS, qui phagocytent le temps utile, réduisant les possibilités de prise en charge purement médicales. Cette multiplication ubuesque est faite au dépend du “temps patient” et du nombre de ceux que nous pouvons accueillir. Nous avons plus d’ordinateurs que de stéthoscopes, plus d’informaticiens que d’infirmières, plus de directeurs que de médecins. Cette folie obsessionnelle est très française. Elle vient de la mainmise de corps étatiques pléthoriques, inamovibles et déconnectés. La gestion actuelle de la crise vous en dévoile la quintessence. Entêtés, manipulateurs et directifs. Déterminés à ne pas changer de stratégie. Obstinés “quoi qu’il se passe” !
Le nombre inexplicable de décès, les atermoiements et les contradictions, cette impossibilité à juguler une crise sanitaire finalement relativement modérée, incomparable à ce qu’elle a été durant l’hiver, sont la conséquence inévitable du fait que ceux qui ont la compétence pour pratiquer les soins, pour demander des tests, pour les interpréter et prescrire des arrêts de travail, ont été dépossédés de leur travail, au profit du préfet, du patron d’entreprise, du président d’un club de sport ou du citoyen lambda. Vos soignants n’ont plus la gestion de ce qu’ils savent utile pour vous. Ceux qui commandent aujourd’hui n’ont aucune connaissance médicale spécifique, mais possèdent en commun une culture de gestion d’économie de santé. Il paraitrait dès lors légitime qu’ils soient tenus pour responsables de l’écart de mortalité entre nous et les pays comparables. Mais comme ce sont les mêmes qui maitrisent les médias, qui diligentent les enquêtes et qui en divulguent et en manipulent les conclusions… Nous ne pouvons donc attendre aucun acte de contrition.