Coût de l’alimentation animale : les éleveurs allaitants et fromagers dans l’expectative ! [par Thierry Masdéu]

Que ce soit en caprin, bovin, ou ovin, pour la quarantaine d’éleveurs fromagers fermiers des P.-O., l’impact de la hausse des prix sur l’alimentation animale diffère suivant la spécificité de chaque élevage, du nombre de têtes et des secteurs géographiques d’implantation.

SI, pour l’heure, l’excellente fréquentation des stations de ski a permis aux trésoreries des élevages de montagne d’être au beau fixe, la progression constante des coûts sur l’aliment des ruminants et de l’énergie inquiète la profession. Avec cette instabilité qui règne sur le marché des céréales, des oléagineux, du gaz et des carburants, les représentants des syndicats ovin et caprin craignent, pour les prochains mois, de graves conséquences économiques. Notamment chez les exploitants en bio qui représentent près de 50 % de la filière et où le prix de l’aliment affiche un surcoût de l’ordre de 35 % à 40 % par rapport au conventionnel.

Une situation qui pourrait amener certains éleveurs en difficulté à quitter le bio. “Pour l’instant, nous sommes plutôt sur l’expectative et on va devoir anticiper cette nouvelle crise. Alors, savoir si nous devons augmenter nos prix sur les fromages ? C’est la grande question” s’interroge avec perplexité Aurélia Chouiden, présidente du Syndicat départemental des éleveurs caprins et fromagers fermiers. Avec une fourchette moyenne de prix qui oscille, suivant les zones géographiques, de 2,10 € à 2,50 € pour les petits crottins et de 23 € à 26 € pour la tome de 3 kg, les marges de majorations tarifaires s’avèrent très délicates. “Sachant que les consommateurs ont de moins en moins de pouvoir d’achat, nous n’avons pas encore tranché sur cette question des prix de vente, car au final il est possible que nous y perdions aussi !” souligne avec lucidité Aurélia, éleveuse de 80 chèvres Alpines avec ses deux associés, Claire Devos et Jean-Pierre Vergès, sur la commune de Matemale.

De gauche à droite Claire Devos, Jean-Pierre Vergès et Aurélia Chouiden, présidente du Syndicat départemental des éleveurs caprins et fromagers fermiers.

Peu de marge de manœuvre

Même constat chez les éleveurs d’ovins qui produisent aussi l’agneau catalan de la marque “El Xaï”, commercialisé par la Coopérative Catalane des Éleveurs. Marché qui, depuis un an, suite au Brexit et à une baisse des importations de Nouvelles-Zélande se porte assez bien. “De manière générale, les cours de l’agneau ont évolué vers le haut et, avec El Xaï, le prix sur les dernières factures, qui est ici toujours plus élevé que la cotation moyenne grand Sud, est assez honorable à 8,20 € le kg, alors qu’il y a plus d’un an on ne nous l’achetait qu’à 7 € !” tempère Antoine Chrysostome, président du Syndicat départemental des éleveurs ovins. “C’est bien joli de vendre cher, mais notre philosophie, c’est aussi de pouvoir servir tout le monde avec nos produits et pas uniquement l’élite ! De toute façon, que ce soit pour la viande ou le fromage, on ne peut pas indéfiniment répercuter les coûts de production ! Et sur l’enveloppe des 400 millions d’euros d’aides annoncée par l’État, je ne sais toujours pas qu’elles vont en être les modalités” s’interroge celui qui est éleveur de 450 brebis allaitantes et 140 laitières sur la commune de Corsavy. “Pour compenser les charges d’exploitation, aurons-nous, par exemple, l’obtention d’une aide au transport sur l’approvisionnement en fourrage et intrants, alors que le contexte politique plaide plutôt pour leur diminution et l’autosuffisance des exploitations ? J’en doute.”

Une situation qui ne rassure pas les éleveurs, d’autant que depuis le début du conflit russo-ukrainien, la production des céréales destinée aux bio carburants et à l’alimentation animale au détriment de l’alimentation humaine fait débat. Des producteurs pointés du doigt comme dans un “Appel commun”* publié le 28 mars dernier et signé par plus de 640 scientifiques, professeurs, docteurs, où il est fait mention, sur le premier des trois points recommandés, que pour faire face aux chocs, à court et long terme, sur le système alimentaire et la santé humaine, il faudrait “accélérer la transition vers des régimes alimentaires plus sains avec moins de produits d’origine animale en Europe (et dans d’autres pays à revenu élevé)”.

Trouver d’autres formules pour minimiser les charges, comme celle de la réduction des apports de rations alimentaires semble aussi être un exercice économiquement périlleux. “Déjà que l’on accuse une perte sur le prix de revient de l’aliment, on ne peut se permettre de l’économiser au détriment de la qualité et des volumes de production !” précise Aurélia Chouiden. “La seule chose que nous puissions essayer de faire, c’est de baisser notre consommation d’énergie en optimisant les déplacements lors des livraisons et tournées, mais pour le chauffage, ça reste compliqué, car en fromagerie il nous faut maintenir au moins 20º pour l’affinage !” Économie sur le carburant, infime levier d’autant que les producteurs saisonniers ne sont pas tous en vente directe et dépendent de la commercialisation chez des revendeurs et sur les marchés locaux.

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