Vous avez dit solaire ? [par yann Kerveno]
Après un début de développement frisant l’anarchie, le photovoltaïque en agriculture atteint-il la maturité ? La toute récente loi dite d’accélération des énergies renouvelables donne en tout cas un début de cadre précis pour son développement.
Au final, le développement du photovoltaïque en agriculture aura suscité des débats de même nature que ceux connus encore aujourd’hui par la méthanisation. À savoir la concurrence possible, probablement inévitable, entre la production agricole et celle d’énergie. Pour les méthaniseurs, il s’agissait de produire de la biomasse pour charger les digesteurs ; pour le photovoltaïque, il s’agit de consommer des terres agricoles en les sortant de leur production première. Avec le risque que la production d’énergie devienne, en cas de flambée des prix, plus intéressante que les habituels fruits du sol. Une inquiétude qui provoquait, il y a quelques semaines, des sorties remarquées de la Confédération Paysanne et des Jeunes Agriculteurs sur le sujet.
Définition
Alors, que dit la loi actuellement étudiée au parlement ? La mesure majeure est certainement la définition de l’agrivoltaïsme qu’elle s’est attachée à fournir : “Est considérée comme agrivoltaïque une installation qui apporte directement à la parcelle agricole au moins l’un des services suivants, en garantissant à un agriculteur actif une production agricole significative et un revenu durable en étant issu.” Soit, précise la loi : “l’amélioration du potentiel et de l’impact agronomiques ; l’adaptation au changement climatique ; la protection contre les aléas ; l’amélioration du bien-être animal.” Bref, des systèmes bien plus élaborés qu’initialement comme celui installé tout récemment chez Pierre Batlle, à Llupia, dont L’Agri s’est fait l’écho à l’automne dernier.
Sont ensuite exclues du champ les installations qui ne permettent pas de production agricole ou ne sont pas réversibles. Cette définition est importante parce qu’elle inscrit le prima de la production agricole sur la production d’énergie. Elle précise en outre le cadre de développement du photovoltaïque au sol, le moins cher à poser et celui qui, précisément, soustrait des surfaces aux productions agricoles en imposant qu’il ne puisse être effectué que sur des terres incultes ou non exploitées.
Prudence
Du côté des syndicats, les réactions sont mitigées. Les Jeunes Agriculteurs restent prudents, même s’ils se félicitent des avancées de la loi. Ils tiquent notamment sur la question de terres incultes ou non cultivées et réclament une règle supplémentaire, supprimée en commission mixte paritaire, qui précisait qu’il fallait un délai d’au moins 10 ans sans cultures avant de pouvoir implanter une centrale solaire au sol. La FNSEA se réjouit, pour sa part, de l’équilibre du texte et de la définition relativement précise donnée à l’agrivoltaïsme. La Confédération Paysanne n’avait pas encore réagi officiellement à l’avancée de la loi en fin de semaine dernière. Pour autant, dans une note récente du think tank Agriculture Stratégies, Alessandra Krisch et Lore-Elene Jean pointent quelques limites.
Effets pervers ?
“Comment déterminer si une installation photovoltaïque permet d’améliorer le potentiel agronomique d’une parcelle ? Comment définir production agricole « significative » et revenu « durable », alors que la production agricole est par nature variable, tout comme le revenu, qui dépend de prix fluctuants ? Comment faire si le revenu issu de la production d’électricité est supérieur au revenu tiré de l’activité agricole ?” se demandent-t-elles, en attendant les décrets d’application de la loi qui préciseront ces critères. Elles pointent aussi du doigt un trou dans la raquette, celui du partage de la valeur générée par la production d’énergie qui n’est en rien encadrée et les loyers, potentiellement importants, pourraient venir troubler le jeu des transmissions. “Qui du propriétaire ou du fermier touchera le loyer ?” interrogent-elles avant de se demander s’il n’y a pas là un risque d’effet pervers à moyen et long terme.
Et les transmissions ?
“L’installation de panneaux pourrait faire grimper le prix des fermes à reprendre, voire pousser les agriculteurs en place à retarder leur passage à la retraite, moins intéressante financièrement que la rente liée aux panneaux, qui pourra être complétée par les aides PAC si l’activité agricole reste « principale » sur la parcelle. Une rente bien plus intéressante que le montant issu de la retraite agricole, l’activité agricole pouvant être réalisée par le biais d’entreprises.” Comme souvent, le diable se cache dans les détails et il n’est pas encore sorti du bois !