Un bus à Versailles [par Jean-Paul Pelras]
Pendant quelques semaines et avant de quitter la rédaction de l’Agri, je vous propose l’évocation (avec prescription…) de certains souvenirs syndicaux que nous qualifierons de rocambolesques.
Nous sommes au cœur des années 90. Luc Guyau, alors à la tête de la FNSEA, avait demandé, en tant que président du Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union Européenne (COPA), que l’on poursuive les manifestants ayant déversé des marchandises importées à la frontière franco- espagnole. Il faut dire que le “contrôle” des camions, accompagné de quelques déclinaisons pyrotechniques, correspondait, à l’époque, pour les maraichers et les arboriculteurs des Pyrénées-Orientales, à une occupation parallèle presqu’aussi galvanisante, entrainements et trophées en moins, qu’une activité sportive.
Le patron de “la maison mère” ayant manqué de respect à ses subordonnés, c’est à bord du bus le moins cher du marché que nous nous sommes transportés jusqu’à Lutèce en effectuant, c’est dire si nous étions motivés, l’aller-retour dans la journée.
Arrivés rue de la Baume où nous avons pu visiter les locaux étrangement désertés, les impétrants encore présents dans les bureaux du syndicat national nous firent savoir que le patron discourait à Versailles. Nous voilà dévalant les escaliers du dit édifice pour nous retrouver sur le pavé nez à nez avec des individus en uniforme, comprenez bien évidemment : la police. Nous indiquons alors aux carabiniers que nous entendons nous rendre au congrès de la FNSEA. Nous aurions évoqué l’Élysée ou Matignon que les gardes du cardinal de faction n’auraient pas été plus interloqués. C’est dire, à ce moment là, le sens que peut prendre la légendaire cogestion entre un État et un syndicat !
Et nous voilà partis, motards derrière, motards devant, toutes sirènes hurlantes, grillant stops et feux rouges dans le tout Paris. Incroyable, comme des ministres ou des dignitaires nous étions escortés, pour ainsi dire, sous haute protection policière. Tels des gosses derrière les vitres du bus, nous regardions ébahis le visage des piétons sur les trottoirs et le regard courroucé de ceux qui, derrière leurs volants, à cause de nous, n’allaient pas arriver au boulot à temps.
Résultat des courses, en dix minutes nous étions rendus. Et c’est à ce moment-là, au moment où nous avons souhaité descendre du bus, que le chef d’escadron nous signifia : “Vous ne pourrez par rencontrer Luc Guyau, l’accès aux congrès vous est interdit, vous devez repartir au plus vite dans les P-O.” C’est dire, au risque de se répéter, toute l’ambivalence de la cogestion, de la connivence, de la collusion…
Prétextant le besoin d’évacuer quelques mictions et celui de nous dégourdir les rotules, nous avons été tout de même autorisés à effectuer quelques pas autour du véhicule. Requête acceptée moyennant le comptage strict des passagers. De mémoire, nous étions 32, ils en comptèrent 53 ! Et finirent par s’apercevoir que les mêmes, descendus par la porte de devant et remontant par celle de derrière, repassaient plusieurs fois…
Ensuite ? Et bien ensuite nous sommes repartis, escortés jusqu’au périphérique, pour arriver au petit matin dans le Midi. Considérés au sein même de notre syndicat comme étant persona non grata, nous ne sommes donc jamais allés au congrès de la FNSEA. Mais, à bien y regarder, qui peut se vanter, pour pouvoir y accéder, d’avoir été un jour escorté par les archers du Roy ?