Péripéties syndicales : Avec des couvercles de lessiveuse (Par Jean-Paul Pelras)

De nos jours, les officiels se pressent pour inaugurer un train des « primeurs » destiné à transporter principalement des marchandises importées où, du côté de Port-Vendres, des navires en provenance de l’autre rive de la Méditerranée. On coupe des rubans, on affiche des sourires décomplexés et l’on oublie un peu trop rapidement ce que toutes ces compétitions déloyales ont suscité comme misère économique et sociale de ce côté-ci des Pyrénées.

À ces politiciens de pacotille et autres responsables professionnels atteints d’amnésie ou dépourvus de toute culture locale, rappelons cette manifestation du 11 juin 1968. Au Perthus, plus de 1 000 agriculteurs bloquent la circulation. Des fruits et des légumes sont déversés à la frontière et, au même moment, sur l’axe reliant Argelès à Collioure. À Port-Vendres, des cargos sont contrôlés et des chargements entiers de tomates marocaines sont jetés à la mer. Nous sommes loin des méthodes actuelles où les cagettes sont délicatement empilées sur le goudron près d’un péage autoroutier, loin (certains l’auront peut-être remarqué) des plateformes d’importation.
Des incidents se produisent alors entre agriculteurs et employés de la Chambre de commerce, mais également avec des dockers, des transporteurs, des douaniers. Bilan des opérations : quatre blessés dont Dédé, maraicher à Saint-Estève, qui se frotta la cheville des années durant quand on évoquait les incidents survenus du côté de Port-Vendres. Un peu plus tard, animés par la même détermination, maraîchers et arboriculteurs roussillonnais déversent sur le ballast 22 wagons. Des dizaines de palettes, des milliers de cageots éventrés longent la voie ferrée sur une centaine de mètres. Dans les campagnes, c’est le bouche-à-oreille qui structure la mobilisation.

Pas de téléphone (nous étions loin des technologies actuelles) : le porte à porte, la mobylette, la voiture, le tracteur servent à transporter le messager d’un mas à un autre, parfois quelques heures seulement avant le rendez-vous. Certains, rétifs aux manifestations (et qui se vantaient de ne jamais en être) avaient la surprise de voir, au petit matin, leurs champs de tomates passer sous les lames du rotavator dans un crépitement de roseaux qui laissa quelques traces dans l’histoire agricole de ce département. De nos jours « on pardonne à ceux qui nous ont offensés » et qui ont pourtant une part de responsabilité non négligeable dans la déprise du monde paysan…

Dans les années quatre-vingt-dix, l’Espagne percevra 90 milliards d’ECU (European Currency Unit) au nom du rééquilibrage des régions d’Europe, soit un quart des sommes attribuées aux États membres. Ce fut le début de la fin pour nos agriculteurs roussillonnais !
Aujourd’hui, alors que je m’apprête à poser (presque) définitivement stylos et claviers, je regarde ce que le syndicalisme agricole est devenu. Avec des responsables qui pensent que le vernis des médailles, le magnétisme protocolaire et le culte des promotions sont liés au panache de la fonction. Alors je me souviens, car je les ai côtoyés, de ceux qui ont fait les grandes heures du combat syndical. De ceux qui (comme Joseph à Villeneuve-la-Rivière) arrivaient sur la place du village avec une 2 chevaux fourgonnette chargée de couvercles de lessiveuse destinés à servir de… Boucliers. Oui, avec des couvercles de lessiveuse, une certaine opiniâtreté et beaucoup de dignité !

Jean-Paul Pelras

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