Et le lendemain, tu écoutais ça… [par Jean-Paul Pelras]

Pour évoquer ces péripéties syndicales, il faudrait être plus précis, rentrer dans le dur. Je veux dire par là, raconter ce qui ne se raconte pas, convoquer sa mémoire et se souvenir de ce qui se disait tout bas au petit matin, sur le carreau du marché de gros, chez Pujol aux « Expéditeurs », chez le ramasseur, sur le quai de la coopérative, ou bien entre deux « bassanes » de scarole et trois palettes d’abricots. C’était il y a environ 45 ans. J’en avais 15 et j’écoutais sans savoir qu’un jour j’allais, à mon tour, participer. Puis, bien plus tard, écrire pour raconter. Une administration avait été un peu secouée, du moins sa porte d’entrée, les vitres, une grande boîte aux lettres, un peu la façade… Les productions ne se vendaient plus, les charges augmentaient, les importations avec. Alors, de temps en temps, le monde paysan, à défaut de pouvoir compter sur la compréhension de certains organismes, une fois les circonvolutions protocolaires évacuées, s’exprimait plus vigoureusement, collectivement ou parfois de manière plus isolée. Certains testaient l’aiguisage des chaînes de tronçonneuses sur les poteaux téléphoniques ou sur « l’aplatane » malencontreusement situé près d’un carrefour stratégique. D’autres, les archers du Roy ayant malencontreusement laissé la clé sur le contact, empruntaient, pendant les manifestations, la charrette de faction pour aller voir, quelques vignes plus loin, s’ils n’y étaient pas. « Ramenez cette voiture immédiatement » disait la « Cibi ». Et le lendemain tu écoutais ça. C’était les Gendarmes à Saint Tropez, mais en vrai ! Liste non exhaustive, on en gardera un peu pour les prochaines fois…

Mais revenons à cette « bouffée » ayant occasionné quelques désagréments nocturnes au cœur des années soixante-dix, dans un bâtiment censé collecter les cotisations, percevoir la dîme, la gabelle, le sel, la sueur du maraîcher, de l’arboriculteur, du vigneron. Alors qu’ils allaient acquitter leur dû ou retirer un formulaire, car bien évidemment la dématérialisation n’existait pas encore et qu’il fallait, pour obtenir ledit document ou porter la moindre réclamation, parler dans l’hygiaphone, nos deux protagonistes s’adressent à la réceptionniste. Laquelle, montrant la bâche en plastique qui remplaçait sommairement et temporairement la porte d’entrée, affichait un air préoccupé, outré. Comprenez : passant par toutes les phases du désespoir, de la colère, du désarroi, de la souffrance, de la consternation et patati et patata. « Messieurs, nous sommes vraiment désolés de vous recevoir dans des conditions pareilles, cette nuit des agriculteurs s’en sont pris à notre bâtiment et à l’accueil, ce qui nuit au bon fonctionnement de nos services ».

Et les deux hommes, un peu de terre sous les Pataugas, la parka des jours de tramontane ouverte sur le pull tricoté main, de rajouter, l’air dépité empruntant à l’embarras : « Oui nous sommes au courant Madame, c’était nous ». « Allons messieurs, un peu de sérieux, on ne plaisante pas avec ça ! »

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