Tribune : Emmanuel Rizzi (Coordination rurale) dénonce le “vert culpabilisant”
“Faites votre boulot !”… Ces mots de l’édito de L’Agri du 13 juillet me trottent dans la tête depuis quelques jours. Est-ce parce qu’ils ressemblent à la phrase derrière laquelle se cachent les zélés agents de l’OFB à chacune de leurs interventions : “on ne fait que notre travail” ? Est-ce parce que faire son travail c’est bien souvent la raison de vivre d’un agriculteur, l’héritage de plusieurs générations et qu’un tel reproche ne peut le laisser indifférent ? Non. Si ces mots me dérangent autant, c’est qu’ils sonnent malheureusement juste. Nous, les deux principaux syndicats agricoles et nous, les agriculteurs de France, n’avons pas fait notre boulot ou plutôt nous n’avons pas fait tout notre boulot.
Les agriculteurs ont su semer, planter, élever, fertiliser et soigner pour nourrir nos compatriotes et nous avons pensé que c’était assez.
Les syndicats se sont battus, certains pour exporter, d’autres pour l’exception agriculturelle. Ils se sont battus pour faire valoir les droits des agriculteurs ou contre les aberrations administratives et ils ont pensé que c’était assez.
C’était vrai il y a 10 ans, quand on croyait encore que nos seuls ennemis étaient la pluie trop longue, le soleil trop chaud, le mildiou, les pucerons, la fièvre aphteuse, la mondialisation ou la fiscalité.
Mais, trop occupés à produire, nous n’avons pas vu arriver le hold-up écologique et le danger qu’il représentait pour notre profession. Justement, parce que c’est notre outil de travail, le cadre où nous passons nos journées, jusqu’au bout nous n’avons pas cru au casse du siècle qui se déroulait sous nos yeux. La nature venait de nous être dérobée…
Pourtant, à la Coordination rurale, le travail de fond a été fait, chaque attaque a eu sa riposte : l’action en justice pour casser le décret fixant les ZNT, la pétition pour réclamer le maintien des phytosanitaires tant qu’aucune alternative viable n’existe, la construction du lac de Caussade malgré l’intervention du ministère de l’Écologie, la dénonciation de la mascarade qu’est la convention citoyenne, nos contributions à la farce à un million d’euros d’ImPACtons, nos nuits debout devant les abattoirs pour faire face aux végans, la mise au grand jour des problèmes de pollution engendrés par la station d’épuration de Langouët et de son maire anti-pesticides, la lutte incessante pour obtenir le tir des grands prédateurs qui déciment les troupeaux, l’opposition aux contrôles systématiquement à charge des agents de l’OFB, et j’en passe.
Autant d’actions que seule la presse agricole a relayées. Timidement bien souvent…
Alors Jean-Paul, puisqu’entre agriculteurs on peut se tutoyer et s’appeler par nos prénoms, je ne sais pas si ce sont les syndicats qui attendent tout de la presse ou bien la presse qui préfère rester dans la bien-pensance (avec de rares exceptions comme cette tribune le prouve), mais je partage ton constat : la seule voix qu’entend le grand public aujourd’hui est celle de ceux qui se pensent écologistes. Au niveau national, les articles et les reportages sont systématiquement à charge contre les agriculteurs. La situation est plus nuancée au niveau local et je vois là la preuve qu’en dialoguant directement avec les gens, on peut encore expliquer notre métier, ses contraintes et tout le travail que nous faisons chaque jour pour améliorer nos pratiques.
Côté communication, la guerre n’est donc pas perdue, mais un autre front devrait nous inquiéter plus encore : celui de l’infiltration de ces pensées vertes et hors sol dans les sphères du pouvoir et institutionnelles. Personne n’est dupe sur les relations de copinage qui lient France Nature Environnement et le ministère de l’Écologie. Il y a quelques mois, l’INRA a été renommé et tout le monde a bien compris que le “e” ajouté presque innocemment à la fin de son intitulé marque le basculement d’une grande partie de l’INRAe dans le camp des anti-agriculteurs. Même l’école AgroSup, qui est censée former l’élite de nos cadres et ingénieurs agro, s’est détournée de la production au profit de l’environnement ; il suffit de discuter quelques minutes avec les élèves fraîchement sortis de l’école pour le comprendre…
Alors oui, l’avenir semble davantage “vert culpabilisant” que rose, mais il est encore temps de terminer le travail, il est encore temps de retrouver notre liberté d’entreprendre et notre honneur.
Faites entendre votre voix, signez les pétitions, participez à toutes les enquêtes publiques, soyez de toutes les commissions et de toutes les réunions, portez la parole des agriculteurs dans les conseils municipaux et chez vos députés, rejoignez la communauté agricole sur Twitter et Facebook…
Ne laissez plus les bien-pensants décider de votre avenir.
Emmanuel Rizzi est agriculteur dans le Jura, adjoint de sa commune et vice-président de la Coordination rurale.