Tribune – Éleveur : une espèce en voie d’extinction (si, si , c’est une histoire vraie…) [par Noémie Collet]

Noémie Collet est éleveuse de chèvres à Saint-Jean-d’Aulps, en Haute-Savoie. Elle évoque ici l’inertie de l’administration et le déni des populations face aux menaces que fait peser le loup sur le pastoralisme. “Une idéologie de canapé, que seuls les non-initiés peuvent prôner…”

C’est une histoire vraie. Elle se déroule en France, au pays des droits de l’Homme. Et pourtant ! Tout semble surréaliste. À commencer par la météo, bien trop clémente. Une vingtaine de degrés réveillent brutalement la nature. La neige recule, laissant apparaître les cicatrices ravageuses causées par les rongeurs. Le printemps fanfaronne, bousculant une saison d’hiver qui, en fait, n’existe pas. Au beau milieu des vacances de février, pas un moteur de remontée mécanique ne perturbe le silence des montagnes. Les troquets sont fermés. À 18 h, il faudra être rentré. 
Puis l’intrigue. Festival d’injonctions grotesques, à en faire pleurer nos aïeux, ceux que la terre a courbés, s’ils écoutaient. Cette terre, qu’ils nous ont transmise, d’où la société nous fait petit à petit reculer et dont nous sommes de plus en plus nombreux à devoir renoncer, tortillés entre problème de rentabilité, malaise existentiel, solitude et manque de solidarité.
Invités par le sous-directeur du préfet, nous sommes une poignée de paysans à nous rendre à la réunion de secteur pour parler du loup. Éleveurs, enfin plutôt bergers ou chevriers, les vachers ne sont pour l’heure pas concernés et pourtant, ils se devraient d’être solidaires, car ce sont eux les proies de second choix.
À peine la réunion engagée, nous comprenons vite que nous n’aurons pas de réponses à nos questions et encore moins de solutions à nos problèmes. Le fonctionnaire exige d’emblée des échanges courtois. Il justifie l’organisation de cette réunion par leur volonté de soutenir le pastoralisme, bien entendu, “en toute humilité”. Pensait-il que nous avions des raisons d’hausser le ton ? Cette réunion est organisée pour les éleveurs “qui jouent le jeu”, souligne-t-il, aurait-on dû quitter la salle à ce moment-là ? Sont-ils si bas, qu’ils s’imaginent que nous puissions jouer le jeu ? La MSA est présente, quelques jours auparavant, elle a lancé un questionnaire à destination des éleveurs pour connaître l’impact de la prédation sur la santé des concernés. Si, si, c’est une histoire vraie ! On nous explique d’abord le montage d’un dossier d’aide à la protection. Un énième emplâtre sur une jambe de bois. Des aides, des indemnisations, mais surtout de nouvelles contraintes, de nouveaux engagements, encore des obligations, pour nous contraindre à accepter l’inadmissible, et ce, à la condition, bien sûr, de montrer patte blanche au service encaissement du Trésor Public et de notre chère Mutualité sociale agricole.

“Les loups, tout le monde en raffole, en tout cas, tous ceux qui n’y seront jamais confrontés”

Puis viennent les témoignages. Un troupeau protégé conformément aux engagements du plan de protection, à savoir un chien et une clôture. Puis au retour du pâturage, le troupeau traverse la voie publique sur laquelle se trouve un toutou. Le toutou est mordu, points de suture, l’éleveuse reçoit la note et, bien devinez…. La loi dit qu’elle doit payer ! Si, si c’est une histoire vraie ! On entend soudain la colère et dans cette colère, bien des vérités. “Zéro loup pour sauver le pastoralisme”. La réponse étatique est claire, le loup est une espèce protégée, hélas, les éleveurs : désormais une espèce en voie d’extinction. En cas de non-respect de la convention de Berne, l’État s’expose à des sanctions administratives, visiblement moins tolérables que la mise en danger du pastoralisme et la destruction des outils de travail de ses citoyens. Ont-ils les chiffres en tête ? 400 000 exploitants agricoles pour 67 millions de bouches ! Qu’importe, le loup c’est leur business, pas de loup, plus de poste à la DDT. Et puis, l’opinion publique l’emporte, 84 % des Français sont pour sa protection. Symbole de la nature intacte, ou plutôt d’une idéologie de canapé, que seuls les non-initiés peuvent prôner.
Le paysan sait que le loup doit être maintenu à bonne distance des activités humaines… Mais enfin, un loup ne s’attaque pas aux humains ! Tiens donc ! En tous cas, il fait bien des victimes humaines. En témoignent les paroles de cette bergère, la trentaine, mère d’une petite fille, elle travaille dur, sûrement une douzaine d’heures par jour, sans compter l’inquiétude incessante causée par la prédation, pour vivre de son travail et nourrir son foyer. Fatiguée, usée, voilà plusieurs étés que la nuit elle ne dort plus. Elle craque, suscitant l’émotion parmi ses confrères qui savent mieux que personne ce qu’elle vit. On y entend la détresse, la fragilité de la corde pourtant costaude sur laquelle on a bien trop tiré. Elle et sa fille de deux ans, sont suivies afin de sauver ce qui peut l’être.
À raison de 50 euros la séance, piochés dans le budget familial déjà bien restreint. La MSA, on l’a vu, est pleine de bonnes intentions, elle s’inquiète pour les éleveurs, mais elle ne rembourse pas les frais de psychanalyse. Dommage. En revanche, elle propose une journée de répit au travers du fond d’action sociale. “Action sociale” comme si les paysans ne travaillaient pas assez dur pour vivre de leur métier sans être assistés, c’est sûr, ça blesse. Cinq heures pour monter le dossier, deux mois pour obtenir la réponse, et au final 24 heures de répit qui ne viendront jamais puisque le personnel pour remplacer une cheffe d’exploitation nécessite plusieurs jours de formation et que le remplaçant, si on le trouve, fera, avec un peu de chance, huit heures de travail sur les 24 que cette femme doit assumer.
Là-haut, l’astreinte est incessante. De toute façon, on l’avait compris, cette réunion, ils l’ont organisée pour leur conscience. Entendez ! 24 heures de répit, sur une saison qui en compte 200 fois plus ! Se rendent-ils seulement compte, eux les fonctionnaires, distributeurs d’injonctions, dont ils sont eux-mêmes bien incapables d’en appliquer la lourdeur ? Non. Le sept jours sur sept, ils ne connaissent pas, le salaire blanc non plus, l’obligation de résultat ? Pour sûr que non, sinon cela fait 30 ans qu’ils auraient disparu. Ce soir, à 18 heures max, ils seront rentrés, les éleveurs, eux, commenceront une deuxième journée. D’ailleurs les paysans se montrent pressés, l’heure de la traite approche, certains quittent la supercherie, résignés. Le président de la FNSEA, qui était là, discret et muet depuis le début, se lève lui aussi et part. Il n’a pas dit mot, que veut dire ce silence ?

“L’horreur du carnage, le stress continuel, la crainte de la prochaine fois”

Après cette vive émotion, le maire de la commune où se déroule la réunion intervient, remet les choses dans leur contexte, personne ne l’aurait fait mieux que lui. Il est éleveur. 69 ans, il a peur lui aussi, il avoue même avoir pleuré. Peur pour ses moutons. Peur pour sa famille. Peur pour les hommes et les femmes qui connaissent l’horreur du carnage, le stress continuel, la crainte de la prochaine fois. Il rappelle donc le contexte haut savoyard. Une surface d’alpage moitié moins grande que celle de la Savoie, des petits troupeaux essaimés, des vallées serrées et surtout : 12 000 habitants de plus chaque année attirés par le cadre de vie. C’est à dire la montagne ! Cette montagne qu’ils croient à tout le monde et surtout à eux ! Le problème du loup, c’est la cohabitation ! Des bergers qui sont chez eux, soit parce que l’alpage leur appartient, soit parce qu’ils le louent. Des bergers déjà éprouvés par le contexte agricole national (manque de rentabilité, suicides, déprise agricole…). Des loups, qui sont imposés par l’opinion publique, au travers de l’État et le besoin qu’elle a de se racheter une bonne conduite (carbone). Et des usagers de la nature, déconnectés de bon sens, qui se croient chez eux et tout permis. Rajoutez à cela les mesures de protection obligatoires : clôtures (saccagées par inadvertance ou délinquance), Patous (sollicités à longueur de journée, soit par les loups, soit par les incivilités), gardiennage (avec une loi du travail surréaliste où le berger travaille 24 h par jour et tout l’été) et tout ça sous l’unique responsabilité de l’éleveur. Le maire demande solennellement au représentant de l’État, une baisse immédiate de la pression de prédation. Autrement dit une baisse sensible de la population de canis lupus sur notre territoire. Et là, toujours pas de réponse. Ils feront remonter… Ou pas, de toute manière, l’inertie de l’administration ne permettra pas de solutions pour la saison à venir. On apprend que 20 alpages ont été désertés en 2020 sur le seul département. Un homme présent annonce 38 bêtes assassinées au cours de deux attaques, en seulement quatre jours. Il est parti, la peur au ventre.

“L’État se rend coupable de non-assistance à personne en danger”

Et voici venu le bouquet final. Un jeune éleveur interpelle la DDT qui était là, je le rappelle, pour afficher son soutien au pastoralisme alors que, parallèlement, elle retire cette année aux chasseurs les prélèvements renforcés qui pouvaient être organisés lors de la chasse au grand gibier, en battue ou en individuel, à l’affut ou à l’approche, cantonnant dorénavant les chasseurs à effectuer un rôle de gardiennage des troupeaux en période d’estive, avec des tirs de défense simples, sans utilisation des jumelles ou caméras thermiques, rendant encore plus difficiles les prélèvements. Le coup de trop pour le président national de la Chasse qui, en courrier du 29 janvier 2021, demande aux chasseurs de se retirer de la mission. Nous sommes à quelques semaines du déconfinement des troupeaux. Plus seuls que jamais. 
La Direction départementale des territoires a-t-elle seulement entendu ? Comment ces hommes, travaillant à notre service, peuvent-ils supporter cette détresse sans agir ? Et si c’était leur femme ou leur fille à la place de cette bergère ? L’État se rend coupable d’éradication d’une espèce pourtant dévouée, actrice d’un monde dont le temps est compté. Coupable de non-assistance à personne en danger. Si, si, c’est une histoire vraie !

Noémie Collet
La bergère en colère

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