Stéphane Zanella : “Apprendre à faire mieux avec moins de moyens” [par Yann Kerveno]

Stéphane Zanella, directeur des Vignerons Catalans, est le nouveau président du Conseil interprofessionnel des vins du Roussillon. Il précise ses ambitions pour le Roussillon et les trois prochaines années.

Quel regard portez-vous sur la viticulture roussillonnaise aujourd’hui ?
Nous vivons une période compliquée à bien des égards, avec un empilement de facteurs défavorables, les petites récoltes, les difficultés commerciales liées aux marchés, aux taxes Trump… Mais nous sommes aussi confrontés à des questions plus structurelles, la pyramide d’âge des vignerons, les difficultés de transmission, le revenu des vignerons qui aujourd’hui entrave leur capacité à investir et, pire encore, amender ou traiter la vigne. La baisse des rendements n’est pas la seule conséquence du climat, elle est aussi liée à l’appauvrissement de la population viticole.
Faut-il s’attendre à une rupture ?
Il y aura des évolutions puisque notre famille, le négoce, n’aborde pas forcément les choses de la même façon que la production mais nous sommes animés de la même volonté de préserver l’identité du Roussillon, comme le soulignait Philippe Bourrier dans vos colonnes récemment. Les actions de 2021 se feront dans la continuité de ce qui se faisait. En particulier parce que nombre de choses qui étaient prévues en 2020 ont été repoussées. L’année 2021 sera aussi celle lors de laquelle nous aurons à renouveler notre accord interprofessionnel, celui qui fournit le cadre de toutes nos actions.
Vous avez annoncé votre intention de revoir le montant des CVO.
Oui la question de l’évolution des contributions volontaires obligatoires sera abordée. Nous avons l’intention de faire baisser ces CVO pour alléger la facture de la production et du négoce. Nous avons bien entendu les vins doux naturels en ligne de mire, et particulièrement les muscats et les Rivesaltes qui cotisent à hauteur de 10 euros par hectolitre, les Maury à 7 euros quand les autres muscats de la région sont à 3 euros… Mais nous regarderons aussi celles des appellations d’origine qui sont aujourd’hui entre 5 et 6 euros et celles de côtes catalanes qui sont à 2 euros. Je pense, personnellement, qu’il faut baisser l’ensemble des CVO. Mais cela n’est pas uniquement une question comptable, c’est aussi l’occasion de revoir nos façons de travailler, peut-être d’être un peu plus modestes et apprendre à faire mieux en demandant un peu moins à la filière ?
Cela annonce donc une baisse des ressources et des moyens du CIVR ?
Oui, naturellement, la baisse conjuguée des rendements et des CVO va réduire nos ressources et c’est pour cela que nous devons être plus modestes. À l’échelle du monde nous sommes tout petits, il faut concentrer nos efforts pour être plus efficaces et marquer les esprits. Simplement parce que nous n’avons pas les moyens d’être partout. À l’export, c’est mon point de vue, le travail de bruit de fond comme engagé ces dernières années, ne paye pas. J’ai tendance à considérer qu’il nous faut concentrer nos forces sur deux ou trois actions marquantes hors du Roussillon, les Grenaches du monde, Wine Paris et un autre événement en France ou dans une capitale étrangère ? Il n’y a pas de fatalité à faire toujours plus en termes de ressources. Et il y a aussi du travail à faire ici, comment se fait-il que les restaurants soient aussi peu nombreux à proposer des vins doux naturels en apéritif ? Mais nous avons aussi à mener notre révolution digitale.
C’est-à-dire ?
Cette année et les confinements que nous avons subis nous ont montré que nous pouvions travailler plus à distance, tenir des master class et des dégustations à distance. Et cela ne marche pas forcément mal, les Chinois et les Américains sont déjà très rompus à ce genre d’exercice, nous devons nous mettre au niveau parce que cela permet de gagner du temps, même s’il ne faut pas cesser de se déplacer. Nous devons aussi être dans les interactions à distance, renforcer notre présence sur les réseaux sociaux, être créatifs, différents, faire le buzz autour de nos produits. Notre stratégie doit aujourd’hui être une stratégie de notoriété, le CIVR ne peut pas être le VRP des opérateurs.
Pourquoi ?
Parce qu’à chaque fois, cela crée des débats et qu’on est obligé de choisir ne pouvant mettre les 500 opérateurs du département en avant à chaque fois. Ensuite, les locomotives que citait Philippe Bourrier dans vos colonnes n’ont pas besoin de l’interprofession, ce sont les autres qui ont besoin d’aide et on peut le faire sans forcément s’appuyer sur le dessus du panier. Notre problématique collective en Roussillon c’est de parvenir à augmenter la valorisation de l’ensemble de nos produits par la notoriété. Nous souffrons parce que nous avons de petits rendements et que nous ne vendons pas les vins assez chers. Or la valeur du vin est en particulier constituée du prix que les consommateurs sont prêts à y mettre. Il faut peut-être s’inspirer de ce qu’ont fait les vignerons des terrasses du Larzac, une appellation récente, qui se sont dotés d’objectifs, ne pas vendre en dessous de 250 euros l’hecto en vrac et aucune bouteille en dessous de 10 euros… Chacun est libre de faire comme il veut ensuite mais avec un peu de discipline collective ils sont rapidement parvenus à tirer les prix vers le haut. À nous aussi de faire cette révolution-là chez nous. Nos vins sont bons, nous avons un rapport qualité prix extraordinaire, je suis confiant sur le fait que nous pouvons faire progresser les prix.
Quels sont les marchés prioritaires aujourd’hui ?
La Chine que nous allons récupérer tant que le conflit avec les Australiens perdure, les États-Unis où l’on peut espérer que si les taxes Trump ne sont pas abrogées elles ne seront pas augmentées et le Royaume-Uni qui, même avec le Brexit, est un marché intéressant pour nous sur les segments qualitatifs. Pour le marché français ce sera plus compliqué, c’est un marché à maturité, les marges de progression seront faibles.
Sera-t-il question d’une fusion avec le CIVL pendant votre mandat ?
À priori non. Je pense que nous sommes trop petits pour ne pas nous perdre dans une structure plus grande. Par contre nous allons continuer de discuter avec les autres interprofessions, en effet. Nous avons déjà eu des discussions techniques, qui se sont essentiellement limitées à observer comment nous travaillons respectivement. Il y a deux objectifs à ces discussions : voir comment nous pouvons réaliser des économies en mutualisant des moyens, en particulier sur nos missions “régaliennes”, la recherche développement, le suivi aval qualité mais aussi sur les opérations de communication, ce que nous faisons déjà avec Wine Paris par exemple. Nous avons tous les mêmes problématiques et je pense que ces discussions doivent intégrer le Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc mais aussi certainement l’interprofession des vins du Sud-Ouest et Pays d’Oc.
Certains vignerons regrettent que l’apport du CIVR dans le plan de relance régional soit plafonné au niveau de cotisations…
C’est une règle normale en fait. Rappelons d’abord que nous sommes la seule interprofession de la région à avoir ajouté une subvention à hauteur de 25 % de l’investissement en complément des 50 % pris en charge par la Région. Notons aussi que ce sont nos vignerons qui se sont le plus mobilisés dans ce cadre, à hauteur de 3 M € de valeur d’actions, dans toute la région. Ensuite, nous avons appliqué les règles des aides collectives, 25 % de la somme engagée, dans la limite des cotisations versées à l’interprofession.

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