Sécheresse : comment faire ? [par Yann Kerveno]

S’il n’y a pas d’agriculture sans eau, les arboriculteurs s’adaptent à la pénurie et ont organisé la conduite des vergers pour préserver l’essentiel. Même si cela ne sera pas possible partout.

Comment gérer au mieux les restrictions d’irrigation ? La question n’est pas simple en arboriculture et le levier immédiatement actionnable c’est l’éclaircissage. “Nous avons conseillé à nos adhérents d’accélérer l’éclaircissage pour alléger la charge des arbres et leur permettre de mieux résister aux conditions sèches… C’est dommage, jusqu’ici tout avait bien collé, floraison, nouaisons…” Dans les Aspres, Patrick Bolfa a tenté de prendre les devants depuis plusieurs semaines. “Quand on s’est rendu compte que l’année allait être compliquée, on a réfléchi et la première chose que nous avons faite, quand nous avons ouvert l’irrigation, c’est de diminuer les quantités d’eau amenées pour tenter d’habituer les arbres à moins consommer.” Mais il y a déjà des vergers en souffrance.

Privilégier les précoces

“Ce qu’on constate quand même c’est que les arbres subissent un niveau de stress très important, les pertes de feuilles sont parfois assez importantes depuis début mai” ajoute-t-il. “Pour l’irrigation, on concentre sur les variétés précoces, tout en maintenant le strict minimum sur les variétés de saison et les tardives… La diminution du goutte-à-goutte fait que le pied des arbres est correctement irrigué mais pour les racines dans le rang on ne peut pas gérer.”
Autre mesure mise en place dans ses vergers, un éclaircissage drastique, 15 à 20 % de plus que pour une année normale. “On a eu un très bon démarrage, avec de belles naissances, les arbres étaient surchargés donc on essaye de les soulager.” Derrière ces décisions, un seul objectif : tenter de préserver le calibre qui fait le prix, au final.

Entraide

“Partout où nous avons des forages profonds, il n’y a pas de problème, c’est compliqué sur les forages à sept ou huit mètres et sur les canaux, bien entendu. Dans ces situations-là, nous procédons à des tours d’eau entre les parcelles, on a réduit les arrosages, on fait avec ce qu’on a, il faut parfois arroser avec des cuves pour sauver l’essentiel et dans certaines zones il y a de l’entraide entre agriculteurs aussi. Aujourd’hui, le risque le plus important concerne la vallée de l’Agly ou des exploitations vont perdre des arbres” témoigne de son côté David Massot, arboriculteur et en charge du dossier eau à la FDSEA des Pyrénées-Orientales.

“Comment font-ils ?”

Pour Patrick Bolfa, les difficultés de cette année doivent être le point de départ d’une vaste réflexion sur la gestion de la ressource en eau. “Comment se fait-il que trente ans en arrière le département comptait 30 000 agriculteurs et que nous n’avions pas de problèmes alors qu’aujourd’hui nous avons basculé sur le goutte-à-goutte pour beaucoup d’entre nous, nous avons fait des économies très importantes et qu’à 3 000, aujourd’hui, il n’y a pas assez d’eau” s‘interroge-t-il ? “Comment font-ils au Maroc, en Espagne où ils n’ont pas l’ombre de la ressource que la montagne nous offre ici ?”

Un léger mieux ?

Le court épisode pluvieux de la deuxième semaine de mai ne change pas la donne, mais il a fait du bien. En apportant un peu plus de 3 millions de mètres cubes dans les barrages, il a permis au lac de Vinça d’approcher la cote nécessaire aux canadairs pour écoper, soit 23,6 mètres. À partir de là, il peut devenir “transparent” et laisser passer autant d’eau qu’il en rentre. “Cela nous redonne un peu d’espoir” se félicite Jean-François Not qui espère ainsi voir l’étau se desserrer. C’était au comité sécheresse du lundi 15 d’en décider. En début de semaine, la cote du lac atteignait presque 25 mètres.

“Ce qui a provoqué le passage en crise, c’est un mouvement de panique lié au mois d’avril, mois durant lequel les barrages se remplissent le plus. Ce qui est rassurant aujourd’hui, c’est qu’on nous avait annoncé pas avant fin juin pour avoir 8 millions de mètres cubes aux Bouillouses et qu’on y est déjà” ajoute David Massot. “Les difficultés sont concentrées sur les forages peu profonds, mais c’est en partie à cause du fait qu’on ne fait pas circuler l’eau dans les canaux et que ces nappes de surface ne peuvent pas bénéficier de ces recharges. C’est ce que nous expliquons depuis le début, il faut laisser l’eau dans les canaux !”

Les mesures

La préfecture des Pyrénées-Orientales vient de donner le détail des nouvelles restrictions applicables à l’agriculture. Si l’état de crise qui entre en vigueur pour les vallées de la Têt et de l’Agly impose l’arrêt de tous les prélèvements, même agricoles, le préfet Rodrigue Furcy a trouvé une voie étroite en s’appuyant sur le principe de proportionnalité de l’article R 211-66 du code de l’environnement. La vallée du Tech (à l’exception de la zone côtière) et la Cerdagne restent en alerte renforcée avec des restrictions d’irrigation à 50 %.

Partout, l’abreuvement des animaux se fera sans restriction. L’arrosage des cultures maraîchères en plein champ pourra être effectué en réduisant de 80 % les prélèvements en gravitaire, de 50 % en système d’irrigation localisée, ou de 40 % pour les cultures sous-abri. L’arrosage des cultures hors-sol reste possible en réduisant les prélèvements de 30 %. Tout comme l’arrosage des plantiers (arbo et vigne) de moins de 3 ans reste autorisé en réduisant les prélèvements de 50 %. Enfin, l’arrosage des arbres, arbustes et vignes sera possible en réduisant les prélèvements de 80 % pour les systèmes d’irrigation gravitaire et de 50 % en système d’irrigation localisée. Le préfet a aussi pris une mesure complémentaire, celle de déroger au débit réservé de la Têt pour descendre, “comme avant” à 600 litres par seconde.

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