Sécheresse agricole : après l’humiliation, l’oubli ? [par Jean-Paul Pelras]
Voilà 111 jours très précisément que le ministre de l’Agriculture s’est transporté sur nos terres roussillonnaises au chevet des producteurs impactés par la sécheresse. Depuis, rien ! À part 2 millions d’euros attribués sous forme d’exonérations de charges MSA. Et ce, alors que le président de la FDSEA des P.-O. lors de la venue, le 27 avril, d’Arnaud Rousseau (président de la FNSEA), estimait les pertes à 200 millions d’euros. Et jusqu’à 400 millions d’euros avec les conséquences indirectes subies par l’agriculture locale, tous secteurs confondus. Que de déplacements organisés au printemps dernier entre celui des reliques descendues solennellement jusque dans le lit de la Têt et celui de deux ministres passés maîtres dans l’art du geste médiatisé et du regard compassé.
Donc, depuis, plus rien ! Mises à part, bien sûr, des pertes de production, de calibre, de fonds et de trésorerie qui, selon les secteurs, atteignent des proportions irréversibles puisque la vendange 2023 pourrait ne pas dépasser 350 000 hectolitres.
À cela, rajoutons une saison catastrophique pour les fruits d’été avec des invendus qui encombrent les frigos et des opérateurs qui ont tardé à basculer sur le marché français lui préférant la grande braderie des importateurs “habilités”. Enfin, rajoutons à cela des charges et des intrants qui ne cessent d’augmenter.
Résultat des courses, n’en déplaise à ceux qui préfèrent minimiser la situation, l’agriculture roussillonnaise va encore perdre des hectares, de l’argent, des hommes, son induction économique et sociale, va diminuer jusqu’à ne plus intéresser ni ses interlocuteurs commerciaux, ni les décideurs, ni les politiques (ce qui est déjà d’actualité…).
Un bricolage, un décompte de boutiquier…
Une érosion enclenchée depuis plus de 30 ans qu’il faut éviter d’évoquer désormais si l’on ne veut pas passer pour un rabat joie ou un original dont le seul tort serait d’avoir eu raison trop tôt.
111 jours se sont donc écoulés depuis la venue de Marc Fesneau et 141 depuis la réunion organisée par le journal L’Agri à Saint Estève.
Souvenez-vous : l’agriculture de ce département en était à composer avec les exigences d’une association environnementaliste basée à Montpellier. Les visiteurs du soir se rendaient consciencieusement en préfecture pour prendre connaissance du yoyo imposé sur les débits réservés, les canaux se vidaient pour laisser aux barrages (gestion empirique) le temps de retrouver leurs niveaux et aux rivières suffisamment d’eau pour sauver le poisson au détriment de la nectarine, de la vigne et de l’abricot. Un bricolage, un décompte de boutiquier humiliants pour le monde paysan contraint de céder face au dogme écologiste, moyennant des pertes de récoltes et de revenus.
Humiliant et inédit dans l’histoire agricole de ce département où, si la profession a souvent dû s’exprimer, parfois fortement, pour dénoncer les importations déloyales, elle n’avait jamais été empêchée par un courant de pensée et ses influences sociétales.
Alors oui, plus rien depuis le grand déplacement des berlines officielles. Si ce n’est le silence assourdissant des mesures qui n’arrivent pas, des questions sans réponses, des promesses diluées dans les nuances du temps qui passe, là où la vigne meurt, là où, lorgnant la friche qui gagne du terrain, le promoteur se frotte déjà les mains, là où le fils ne reprendra pas. Quelque part à l’heure où il faut soi-disant, désormais, regarder ailleurs et ne plus parler de tout ça !