Recensement agricole : à force de “jouer petits bras” les campagnes se vident ! [par Jean-Paul Pelras]

Les chiffres ne sont pas bons. Et, quoi qu’en disent les pouvoirs publics, le verre reste à moitié vide, siphonné par les effets d’une déprise agricole multifactorielle. 100 000 exploitations supplémentaires ont donc disparu en 10 ans. Il n’en reste plus que 390 000 contre 490 000 en 2010 et 663 000 en 2000. Le ministre de l’Agriculture aura beau dire qu’il n’y a pas d’industrialisation galopante de notre agriculture française, notre modèle étant un modèle de qualité tourné vers les exploitations à taille humaine avec une moyenne de 63 ha, contre trois fois plus aux États-Unis, nous ne pouvons nous contenter de ce scenario, qui consiste à jouer petits bras. Avec, de surcroît, une population de plus en plus vieillissante puisque 58 % des chefs d’exploitation ont plus de 50 ans contre 52 % en 2010, le taux de renouvellement n’étant que de 14 000 installations par an.

Dans les 20 dernières années, chaque jour, 38 agriculteurs ont cessé leur activité. Pourquoi ?
Pour de multiples raisons qui peuvent varier d’une région à l’autre. Prenons, pour commencer, les productions non soutenues par la PAC, hormis dans le cadre d’investissements la plupart du temps tributaires du revenu. Les productions fruitières, maraichères, viticoles, porcines ou, entre autres, avicoles ont, à ce titre, rencontré énormément de difficultés pour rester compétitives face au rouleau compresseur des importations déloyales. Une menace qui, accords bilatéraux obligent, pourrait rapidement concerner l’ensemble des productions.

À titre d’exemple, quand Julien De Normandie déclare que la surface agricole française, avec 27 millions d’hectares cultivés, soit environ 50 % du territoire, n’a diminué que de 1 %, il faut se transporter dans un département comme celui des Pyrénées-Orientales où l’arboriculture est passée de 12 400 ha en 1980 à 4 500 en 2020 et le maraichage de 8 000 à 1 500 ha. Une érosion qui, au plan, national, impacte les filières employant en moyenne 4 personnes à l’année contre 1,6 pour les secteurs grandes cultures et élevage. Ou comment résister avec un smic horaire payé 12 euros en France contre 7 en Andalousie et 6 euros par jour au Maroc. Impossible et irréversible tant qu’une harmonisation des charges sociales, fiscales et environnementales intra et extra européenne ne sera pas mise en place.

Seul petit problème, qui, parmi les politiques et autres environnementalistes du moment, aura le courage d’aller dire à Mohamed VI qu’il faut décarboner, ne plus utiliser de pesticides, éviter les engrais, économiser l’eau et rémunérer correctement ses salariés ? Et ce, alors que dans le même temps, la machine à détruire la paysannerie française lancée par les ONG environnementales s’emballe. En moins de dix ans, les écologistes ont fait évoluer le statut d’agriculteur d’indispensable vers détestable suscitant, de facto, une stigmatisation en grande partie responsable du mal être paysan et de la déprise rurale qui en découle.

Et nous perdons nos marchés

Et pourtant, si une solution s’impose pour préserver l’environnement et faire évoluer certaines pratiques agricoles, elle doit, loin des théories idéalistes, venir de projets hybrides émanant non pas de promesses politiciennes, mais d’une recherche industrielle et scientifique disposant de délais raisonnables et de moyens adaptables et adaptés au contexte économique. Les chiffres du recensement doivent à ce titre alerter les pouvoirs publics et les responsables professionnels, car ils augurent une période d’incertitude inédite à l’heure où, sur les 95 milliards de déficit commercial annoncés pour l’an prochain, 22 concerneront l’agriculture. Et ce, avec un an d’avance sur les prévisions annoncées par le Sénat qui prédisait, pour 2023, un déficit commercial agricole imputable à des charges trop élevées, à une sur-réglementation, à des fragilités structurelles, à l’augmentation des importations de produits ne respectant pas les normes exigées en France.

Résultat des courses, nous y voilà, avec, en face de nous, le Brésil, la Russie, la Chine, les États-Unis… Pays qui ne s’embarrassent ni de Grands débats sur l’agriculture pilotés par des experts en urbanisme et autres stars de téléréalité, gâtés par un système qui les a comblés jusqu’à l’ennui. Pays qui tirent leur épingle du jeu, non pas car ils jouent à la dinette avec les gourous de la permaculture, mais tout simplement car ils encouragent une “industrialisation galopante”. Ce qui leur permet d’être présents sur ces marchés d’où ils nous délogent progressivement. Ce qui leur permet de répondre aux besoins alimentaires de l’humanité en rendant dépendants ceux qui auront préféré, à l’ambition des investissements, le dogme des renoncements.

Cet édito a été publié le 13 décembre sous forme de tribune dans le journal Le Point

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