Le poids des valises et celui des consciences [par Jean-Paul Pelras]

Et si, finalement, tout contenait dans une valise ? La corruption bien entendue d’une élue européenne soudoyée par des émirs, les restes d’un journaliste découpé par d’autres califes, des comptes de campagne planqués dans des tentes de bédouin et tout ce qui encombre, depuis des décennies, les tribunaux de la République, car ceux qui sont censés la protéger ont fini par confondre services et intérêts. Ces valises-là, nous en entendons parler le soir à la télévision. Elles font, la plupart du temps, trois petits tours et puis s’en vont remplir d’autres valises qui, telles des poupées russes, en hébergent encore d’autres. Alors, sans le savoir, sans le vouloir, à notre cœur et à notre corps défendant, nous apportons tous, tôt ou tard notre petite contribution à ces vases communicants.

L’exemple de la Coupe du monde, boycottée en novembre car 6 000 ouvriers gisent sous la pelouse, car les droits de l’homme sont bafoués, car les climatiseurs font grimper les degrés, puis adulée fin décembre, car le foot des milliardaires l’a finalement emporté sur les résolutions humanitaires, illustre parfaitement ce qu’est devenue la capacité d’indignation de notre société.
Et quand bien même certains ont refusé de suivre et de cautionner cette compétition, en se rendant à la station-service dès le lendemain ils ont versé leur obole aux impitoyables rouages de la consommation. Celle qui nous rappelle que, pour la transporter, le plus fortuné de nos milliardaires fabrique lui-même des valises…

Arrive ensuite la conscience, plus ou moins lourde à porter. Je suis, à ce titre, de plus en plus surpris par l’acceptation, par le suivisme, par le déni dont certains font preuve dès qu’il s’agit de dénoncer les évidences.
Le monde agricole n’est pas exempt de ces renoncements. Les réactions au précédent éditorial publié dans L’Agri et sous forme de tribune dans Le Point intitulé : “L’agriculture Française doit-elle confier les clés du tracteur à Niel et McKinsey ?” en sont l’exemple concret. Citons, à ce propos, l’ex-député agriculteur creusois Jean-Baptiste Moreau, porte-parole de la République en marche et rapporteur du projet de loi Egalim qui me répond sur Twitter : “Pour une fois, absolument pas d’accord avec vous. Allez voir et renseignez-vous sur la réalité de ce qu’est Hectar Je n’ai aucune affinité avec Niel et les végans, mon parcours le prouve, mais ce projet a le mérite d’exister et de bousculer certaines idées reçues… Il pose des questions que nous ne nous posons pas car nous sommes trop dedans et apporte un éclairage extérieur. Notre monde agricole meurt de sa consanguinité. Je me fous des intentions de Niel, mais celles d’Audrey Bourelleau sont louables et dans l’intérêt de notre profession.”
Consanguinité ! Le terme peut paraître inacceptable mais, soyons honnêtes, Moreau, à juste titre peut être, faisait certainement davantage référence aux structures qu’aux individus. Ces structures qui ont attiré dans leurs mailles tant d’intrépides syndicalistes.

“Que sont nos amours devenus ?” pourrait-on presque dire quand certains sont désormais présidents de ceci ou de cela, récompensés par le tabou des indemnités, décorés comme des arbres de Noël, qui comptent les jetons de présence alors que, il y a seulement quelques décennies, nous rampions ensemble, en pleine nuit, sous les trains, pour aller, un peu plus loin, percer à coup de pioche le réservoir des camions chargés de marchandises importées…
Alors certains, de plus en plus nombreux et prudents, le soir au téléphone, dans ces réunions auxquelles je n’assiste plus, dans ces courriers plus ou moins sincères, me conseillent (toujours un peu inquiets…) d’aller me ressourcer sur L’Aubrac et de lâcher l’affaire.

Faut-il laisser dire et faire McKinsey, Niel, Clément, Caron, Rousseau, Lucet, Duflot, Macron… Les écolos, les financiers, les usurpateurs, qui veulent faire main basse sur le métier, sans savoir où se situe le champ et ce que l’on peut y faire pousser, les politiciens opportunistes, les syndicalistes qui ont capitulé ?
Peut-être ! Mais en attendant continuons encore un peu le voyage, même si le train est de plus en plus vide, même si beaucoup descendent en chemin, même si ceux qui restent ont refusé les valises, même si, rétifs aux accommodements et aux laisser-passer, nous circulons encore et toujours sans accepter le moindre “billet” !

Toute l’équipe du journal L’Agri vous souhaite de très bonnes fêtes de fin d’année.

2 réflexions sur “Le poids des valises et celui des consciences [par Jean-Paul Pelras]

  • 22 décembre 2022 à 11 h 05 min
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    Merci pour cet edito. Le projet hectar est en effet une attaque de plus contre le secteur agricole français et son modèle, pourtant le plus apte à la préservation des ressources (les innovations de cette “experimentation” hectar ne sont en réalité que la reprise de ce qui a déjà été expérimenté par le secteur agricole, c’est juste l’emballage qui change, et la communication/propagande, et la monnaie qui y est généreusement injectée).
    Il faut dire que la France est toujours un grand pays agricole, mais malheureusement pour certains, il y est plus difficile, par rapport à de nombreux pays, de se constituer des domaines de plusieurs milliers ou plusieurs dizaines de milliers d’hectares. Et pour déposséder les agriculteurs de leurs terres, il ne suffit pas d’une injonction du fmi pour faire passer une loi de libéralisation du marché des terres agricoles (comme en Ukraine).

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  • 23 décembre 2022 à 16 h 18 min
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    Se ressourcer sur le plateau de l’Aubrac c’est la plus formidable des idées et en revenir chargé à bloc pour affronter les difficultés à venir, dénoncer les mensonges et autres inepties, continuer le combat sans baisser la garde … oui continuez de recharger vos batteries du côté de Saint Urcize, Nasbinals ou Marchastel.

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