La vérité est un vaccin qui n’existe pas !
La France se tait. Non pas parce qu’elle est confinée, mais parce qu’elle a peur. Peur de déranger, de désobéir, de s’indigner. Plus personne ou presque n’ose critiquer, subodorer, contredire, par crainte d’être relégué au rang des déserteurs, des conspirateurs, des traîtres à la Nation. Alors les gens chuchotent sur les réseaux sociaux, seul endroit où ils peuvent encore circuler librement. Et au téléphone, où il se murmure qu’on leur ment. “On” étant ce type sans apparence réellement définie, qui va du journaliste au président de la République, en passant par les médecins, les ministres, les scientifiques, les Chinois, les financiers et tous ceux qui, de près ou de loin, sont toujours prêts à nous entortiller.
Et voilà que nous avons affaire ici à un autre virus, celui de la suspicion, que seule la vérité peut juguler. Mais la vérité est un vaccin qui n’existe pas, car il pourrait nous décevoir terriblement.
Alors, puisque nous commençons à nous ennuyer, nous échafaudons, à une distance parfois vertigineuse des faits, quelques scénarios qui nous font douter de nos dirigeants car ils n’ont pas été à la hauteur, car ils ont hésité, car ils nous ont menti ou, tout simplement, car ils ne savent rien. Cette dernière occurrence serait, bien sûr, la pire d’entre toutes car elle condamnerait d’emblée toute issue de secours. Et c’est bien ce que nous ne pouvons plus supporter. Quand, à défaut de savoir comment nous allons sortir de cette situation, le problème est de prévoir quand tout cela va se terminer.
Une question que se pose chacun d’entre nous, mais également la galaxie économique. Celle qui, d’ordinaire, a horreur de naviguer à vue et préfère les déferlantes qu’elle peut anticiper au brouillard qui dissimule les imprévus.
Où est passé l’esprit critique ?
Nous en sommes là avec des médias qui sont à sec sur le front des analyses, leur pouvoir divinatoire étant réduit à cette portion congrue qui réduit au factuel : “Combien de morts ? Combien de personnes atteintes ? Les applaudissements de 20 h. Le quotidien des soignants. L’exaspération des parents. Heureusement que nous avons des agriculteurs. L’isolement des personnes âgées. Les enterrements dans la plus stricte intimité. Le courrier qui n’arrive pas. Comment s’occuper dans 40 mètres carrés. Le président parlera ce soir. Le Premier ministre vient de s’exprimer. Restez chez vous. Nous allons vous donner des nouvelles de l’étranger…” Et puis plus rien. Peut-être tout simplement car il n’y a rien d’autre à dire. Et pourtant, ne sommes-nous pas ce pays où la capacité d’indignation prévaut sur la résignation ? Cette résignation que les mots du pouvoir ont transformée en “résilience” pour ne pas avoir à affronter une certaine forme de résistance.
Mais bon sang, où sont passés nos philosophes, nos intellectuels ? Où est passé notre esprit critique, celui qui fait sourdre la vie de la banalité des choses ? Celui qui secoue les gouvernements car il en appelle aux consciences. Celui qui dit, comme l’écrivait ailleurs le Gardois Jean Carrière : “Il est désormais trop tard pour mourir, il va falloir trouver d’urgence une autre solution”.
Jour après jour, heure après heure, le monde s’enfonce dans l’insaisissable, car celles et ceux qui nous dirigent pensent que nous n’aurons ni la force, ni l’audace de les interroger. Cette léthargie, ponctuée de liturgies que sont devenus les discours officiels, menace notre monde. Ceux qui ont le pouvoir de s’exprimer et d’interroger doivent désormais le faire. Confiner la population ne revient pas à confiner l’opinion. Car même, et peut être surtout, si nous sommes en guerre, la seule injonction que nous ne devrons jamais accepter, c’est celle qui consiste à nous faire taire.
À lire sur le site du journal L’Opinion la tribune de Jean-Paul Pelras publiée le vendredi 27 mars : “Retrouver un équilibre entre ce qui nous fait vivre et les pacotilles de l’existence”