Prospective : carte postale agricole de 2040 [par Yann Kerveno]

À quoi ressembleront les agriculteurs et les agricultrices en 2040 ? La réponse se trouve dans un exercice de prospective menée par la commission européenne et compilée dans un document fort de 112 pages mises en lignes récemment.

Pour dessiner ces portraits des agriculteurs dans 20 ans, les chercheurs ont croisé la situation actuelle avec les différentes tendances à l’œuvre observables. Et si la prospective n’est pas prédiction, il n’est pas inintéressant de jeter un œil aux douze portraits issus de ces travaux. C’est bien d’ailleurs l’enseignement principal à en tirer. Loin de tendre vers un modèle unique, souvent appelé dans les vœux des uns ou des autres dans le champ syndical, les agricultures seront multiples dans 20 ans. Et, soulignent les auteurs, cette multiplicité rend d’ailleurs très complexe l’organisation et le fléchage des financements, bref, l’organisation de la politique agricole commune. Regardons donc de plus près dans les différents modèles, forcément caricaturaux, dégagés par les chercheurs.
• L’agriculteur “adaptatif” qui rassemblera des agriculteurs créatifs, curieux, agiles et en réseau, versant dans l’agroécologie et très orientés sur des productions de niches, avec des marchés très éclatés.
• L’agriculteur de “carrière”, avec une forte logique de marché et typiquement intégré dans une filière qui combinera la production de produits de base soit en bio ou sous label privé.
• L’agriculteur “intensif”, qui se base sur la technologie et l’agriculture de précision et lui aussi engagé dans des filières avec des enjeux majeurs à affronter, les impacts environnementaux et l’utilisation des terres…
• L’agriculteur “patrimonial” qu’on peut interpréter comme la survivance du modèle actuel campé sur les subsides publics et qui n’aura su évoluer par manque de capacité d’adaptation. Son enjeu principal sera alors la survie.
• L’agriculteur en “environnement contrôlé” sera comme l’adaptatif, technophile mais on ne le verra pas forcément beaucoup dans les champs. Il sera plutôt l’agriculteur des villes et des fermes verticales et sera celui qui verra une production de niche s’imposer économiquement dans le paysage.
• L’agriculteur “cellulaire” sera peut-être celui ce qui ressemblera le moins à un agriculteur puisqu’il serait, selon l’étude, celui des protéines alternatives, bref, des succédanées de viande.
• L’agriculteur “social-santé” dont l’objet sera moins de produire des aliments que des services, des emplois manuels et versera dans l’agroécologie. Avec une faiblesse, le manque de technologie et la compétition, hors agriculture, avec les entreprises spécialisées dans le “care”.
• L’agriculteur “qui change de vie”. Lui aura rompu avec une carrière précédente, aura fui la ville pour donner du sens à son quotidien, versera dans l’agroforesterie et la bio et contribuera à la gentrification du monde rural.
• L’agriculteur “régénératif” dont le mantra sera le durable et qui sera aussi peut-être plus préoccupé par délivrer des services écosystémiques plus que produire. Il pratiquera une agriculture donc regénérative.
• L’agriculteur “urbain” sera pour sa part un entrepreneur mais ne versera pas dans les fermes verticales pour autant, il sera intégré, dans des logiques permacoles ou bio dans les futures trames vertes développées dans les villes pour y maintenir un climat supportable. Mais sera en confrontation avec les usages récréatifs des espaces verts et les fermes verticales.
• L’agriculteur du “hobby serieux” lui n’aura que faire de la production parce-que, pour lui, l’acte de produire a plus de valeur que le produit lui-même. Il sera en agroécologie sur de petites surfaces et constituera, pour les agriculteurs qui vivent de leurs productions, un concurrent pour l’accès aux terres et aux ressources.
• L’agriculteur “approvisionneur de communauté” sera lui aussi en permaculture avec pour objet de travailler uniquement dans un réseau de proximité informel.
On le comprend, ces modèles ne surviendront pas ex nihilo parce que l’environnement, la société, le marché, auront leur mot à dire dans la construction de ces nouvelles façons de faire de l’agriculture. Mais l’étude conclut, et c’est peut-être la question qu’il faut garder à l’esprit, que l’arrivée de nouveaux acteurs dans le champ agricole va questionner fortement ces prochaines années l’identité même des agriculteurs européens. Que l’agriculture sera pour certains un job, alors qu’elle restera pour d’autres une vocation, mais les auteurs insistent aussi sur le fait que la société européenne commence à prendre conscience de l’importance de l’agriculture et des agriculteurs dans le processus de transition qui nous occupe sous la menace du changement climatique. Reste à convaincre le marché et l’organisation des réseaux de distribution qui, parce qu’ils achètent, conservent la clé des évolutions. Et vous, quel agriculteur, agricultrice serez-vous ? Dites-le nous sur les réseaux sociaux de l’Agri !

https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/bitstream/JRC122308/farmers_of_the_future_final_online.pdf

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