Pêches : “C’est maintenant qu’il faut enclencher le mouvement de refondation” [par Yann Kerveno]

À la tête des Jardins du Roussillon, Julien Batlle partage avec l’Agri ses réflexions sur trois des productions phares du département, les pêches, l’abricot et la salade. Et refuse la fatalité.

L’année 2022 sera bonne pour la production de pêches et nectarines dans le département, cela fait trois ans que le contexte est meilleur pour ces productions après une décennie de vaches maigres. Mais comment envisager l’avenir ?

Alors oui, les deux dernières années sont bonnes pour la production mais il faut regarder comment elle est structurée aujourd’hui. Pour schématiser, vous avez 40 % des opérateurs qui ont investi lourdement ces dernières années, un autre pan dont les outils sont à maturité et dans une position plus attentiste et enfin un dernier segment qui est en perte de vitesse. Nous sortons de longues crises : la sharka chez nous, des faillites dans d’autres régions…

Je considère que nous sommes à un moment où la refondation de notre filière est possible. Nous ne reviendrons pas au début du siècle quand la France mettait en marché 500 000 tonnes de pêches et nectarines, mais nous pouvons espérer, sans être qualifiés de rêveurs, de retrouver 200 000 à 220 000 tonnes de productions d’ici à 2025 ou 2027. Grâce en particulier aux efforts d’investissements consentis ces cinq dernières années mais aussi à l’AOP qui fonctionne bien et nous défend bien. Je pense juste qu’aujourd’hui, pour réussir pleinement, il faudrait que nous puissions tous travailler à un projet commun comme nos concurrents espagnols ont pu le faire ces dernières années avec la pêche plate. Avec un peu d’ambition, nous pourrions atteindre je pense 250 000 tonnes en 2030 si on parvient à stabiliser les opérateurs économiques qui fonctionnent. Et c’est maintenant, que les choses vont bien, avec trois bonnes saisons, qu’il faut enclencher cela.

Et l’abricot ?

Le contexte est plus complexe, même si je suis persuadé qu’il y a beaucoup d’avenir si l’on parvient à dynamiser la filière. Le potentiel de consommation est largement sous-exploité aujourd’hui, mais la filière ne pourra s’en sortir qu’en produisant de la qualité et en ne vendant que ce qui est bon. Mais les obstacles sont importants, le premier étant l’âge du verger, 20 ans en moyenne, avec des variétés qui disparaissent comme le Rouge du Roussillon et le Bergeron, et un taux de renouvellement autour de 2 % alors qu’il devrait être entre 10 et 12 %.

Ensuite, la première chose serait de simplifier et restreindre la gamme à 25 ou 30 variétés aux qualités gustatives approuvées, productives et efficaces économiquement et bien placées dans le calendrier. Peut-être que le changement climatique nous donnera un petit coup de pouce, l’abricot est un fruit qui cuit sur l’arbre au-delà de 35° ce qui va bloquer les Espagnols assez tôt en saison. Aujourd’hui, nous produisons en France 110 000 tonnes et nous avons probablement un potentiel pouvant grimper jusqu’à 150 000 ou 160 000 tonnes annuelles.

Les objectifs que vous avancez ne sont pas démesurés. Il y a moyen d’aller plus loin ?

Oui certainement, mais pour cela il faut pouvoir avoir accès aux marchés d’export et donc être compétitifs. Cela ne peut se passer que par un rééquilibrage des coûts de production au sein de l’Union européenne, c’est d’ailleurs ce qui commence à se produire, doucement mais cela arrive. Nous avons en plus, par rapport à l’Italie, la Grèce ou l’Espagne, un atout climatique important dont nous pourrons jouer dans les années qui viennent.

Et la salade ?

Le contexte est complètement différent. Il faut imaginer que cette année, pour la première fois depuis 20 ans, nous sommes parvenus à faire passer une augmentation de prix aux industriels. Mais il a fallu qu’on arrive au point où nous ne pouvions plus continuer à produire sans relever les prix, sauf à perdre de l’argent. Maintenant, il faut que le marché du frais bouge de la même manière car le problème numéro un de la salade c’est l’augmentation des coûts de production.

L’autre problème que je cerne, c’est la “despécialisation” de notre bassin de production roussillonnais. Nous sommes passés de 100 millions de pieds à 50 ou 55 millions, ce n’est pas rien, nous sommes donc moins compétitifs. Et à l’inverse des fruits à noyau, le réchauffement climatique ne nous aide pas. Il y a aujourd’hui des régions de France, comme la région nantaise, qui parviennent à produire de la salade de mars à mi-décembre, cela fait un client de moins… Une partie de la solution tient peut-être dans la technologie et la mécanisation, la robotique et l’intelligence artificielle pour gagner sur le coût de production. Pour l’heure, personne n’investit dans la salade, mais il faudrait deux ou trois bonnes années, comme en pêche, pour que cela reparte.

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