Lettre à quelques “professeurs de conscience” [par Jean-Paul Pelras]
Mesdames, messieurs,
de Kad Merad, déplorant la baisse de fréquentation dans les cinémas, à François Cluzet qui insultait ou sermonnait récemment Bigard et Lucchini, la liste est longue de ceux qui se sentent obligés d’afficher leurs opinions politiques à longueur d’interviews. Lucchini qui lisait les Fables de La Fontaine à Macron lorsqu’il était à Bercy, Cluzet présent, tel un courtisan penché sur l’épaule du prince, lors de la seconde investiture du premier d’entre nous dans les salons de l’Élysée. Et, plus largement, 500 signataires acteurs, actrices, chanteurs, chanteuses, écrivains, écrivaines, musiciens, musiciennes, sportifs, sportives, “intellectuels” ou troubadours de renom qui avez appelé à voter Macron au printemps dernier. Tout comme certains d’entre vous, 200 au total, parmi lesquels Berléand, Jugnot, Zabou, Karin Viard ou (à nouveau) Lucchini, tous craignant pour l’avenir de leur profession et de leurs comptes en banque avec la fermeture des salles obscures, ont pris clairement position contre ceux qui ne souhaitaient pas se faire vacciner. Berléand les traitant même de crétins. Quelques jours plus tard, ce sont 600 artistes qui, inversement, dénoncent, dans une autre tribune, la politique sanitaire du gouvernement. Et ainsi de suite à la petite semaine, avec Cotillard et Binoche ou Di Caprio pour l’écologie et, plus récemment, Line Renaud (ne lâchant plus la main de Dany Boon) pour l’euthanasie. Vous êtes ainsi des centaines, en apostille d’une sortie cinématographique, d’une publication, du lancement d’un nouvel album, à défiler sur ces plateaux télévisés où pour vendre il faut être vu, où pour exister il faut ergoter. Quitte à se renier, comme Cluzet (le retour), qui déclarait en 2012 “Pour garder sa liberté de parole, un artiste ne doit pas s’engager”.
Et bien, Messieurs, Dames qui êtes, pour la plupart, bien éloignés de nos préoccupations quotidiennes, permettez cette assertion qui vaut bien les vôtres car elle n’est motivée par aucun intérêt commercial, promotionnel ou financier : vous commencez à nous gonfler !
De plus en plus proportionnels à votre talent, vos conseils produisent l’effet inverse du résultat escompté. À ce titre, ne vous sentez surtout pas obligés de vous prononcer sur tel ou tel sujet de société. Nous sommes, rassurez-vous, suffisamment qualifiés pour savoir ce que nous avons à faire, comment nous devons nous comporter et, le cas échéant, pour qui nous devons voter.
En ce qui me concerne, je préfère écouter le point de vue de l’ouvrier maçon perché sur son échafaudage, celui de la coiffeuse dans son salon, de l’agriculteur sur son tracteur ou du boulanger fabriquant, seul derrière son fournil, ses croissants dès potron-minet. En prise directe avec cette réalité que vous idéalisez sans jamais la côtoyer, car en définitive vous n’êtes que des figurants, ces acteurs du quotidien savent beaucoup mieux que vous ce qui est bien pour eux. Et, même si votre suffisance vous permet d’en douter, ils n’ont pas besoin de regarder la télévision ou de jouer la comédie pour comprendre le sens de l’actualité.
En infantilisant cette société qui vénère le succès et ne sait plus voir ni la retenue, ni la tempérance, vous êtes devenus, non sans verser dans une certaine médiocrité, les nouveaux “professeurs de conscience”.
Pour clore ce propos, j’aurais une pensée pour le regretté Lenny Escudero. Issu d’une famille de réfugiés Républicains espagnols, il débuta comme terrassier et plâtrier dans le Midi de la France avant de nous livrer sa formidable “amourette” et de repartir discrètement construire au Bénin une école en dur, en pleine brousse. Il revint ensuite nous chanter “Vivre pour des idées”. Depuis bientôt 7 ans (le 9 octobre), il dort au panthéon des artistes respectés qui ont su suggérer sans jamais vouloir imposer.