Pêche professionnelle : les bateaux vont-ils rester à quai ? [par Thierry Masdéu]

Comme tous les secteurs dépendants des produits pétroliers, les marins pêcheurs subissent lourdement la flambée du prix des carburants et leur outil de travail, directement impacté, pourrait bien ne plus quitter le port.

Sur l’Occitanie, avec une flotte de près de 700 bateaux, cette inflation des cours pourrait, sur les prochains jours, priver de rémunérations à la part les 1 305 pêcheurs que compte la filière régionale. (Reportage réalisé le 11 mars 2022 avec des cours indiqués tributaires des variations).
Car selon les spécialités des navires, de leurs gabarits et zones de pêche, notamment pour les chalutiers dont la consommation avoisine les 10 000 litres semaine, les hausses de prix vertigineuses du gasoil subies ces derniers jours rendent économiquement impossible le partage hebdomadaire du bénéfice entre les membres d’équipage et les patrons de pêche. Un surplus de charge d’exploitation très difficilement absorbable et irrécupérable lors des ventes à la criée.

“Avec le principe des enchères descendantes, nous sommes le seul métier qui ne peut répercuter la hausse du carburant sur le prix auquel on lui achète le poisson ! Il y a 3 semaines, avant que le conflit armé éclate en Ukraine, j’avais fait un calcul sur les incidences de la hausse du gasoil qui a révélé que le marin pêcheur perdait déjà 300 € à la semaine !” tient à souligner Bernard Pérez, président des Comités régional et interdépartemental (Aude et P.-O.) des pêches et élevages marins (CRPMEM/CIDPMEM), qui qualifie la situation de catastrophique. “Aujourd’hui (le 09-03-22), on continue à sortir car nous disposons encore du stock avec des cuves de gasoil (NDLR : détaxé) à 0,70 cts €, mais demain (le 10-03-22), il est annoncé à 1 €, lundi il risque de passer à 1,20 € et je pense qu’au cours de cette semaine tout le monde va arrêter de sortir en mer !”

Une réflexion que se pose Frédéric Fontanet, patron de pêche avec son frère Christophe du palangrier “Malovia” et du thonier senneur “Chrisdéric V” basés au port de Saint-Cyprien. “On espère quand même pouvoir, d’ici une dizaine de jours, commencer la saison avec le palangrier. Nous avons un quota à pêcher et il ne faut pas trop trainer ! D’autant qu’en pratiquant ces deux métiers, lorsque l’on part avant la fin mai pour la campagne de pêche aux thons sur la zone des Îles Baléares, on perd une partie de la saison en laissant notre palangrier amarré au port !” Avance avec appréhension ce patron pêcheur qui souhaite d’ici là une inflexion de la courbe du prix du gasoil et de l’essence.

Un impact important sur l’emploi

“Avec le « Chrisdéric V » on embarque 40 000 litres de gasoil pour toute la campagne de la pêche aux thons, alors que sur le « Malovia » avec ses deux moteurs de 200 cv chacun et un réservoir d’une contenance de 200 litres d’essence (NDLR : détaxé) nous faisons un plein à chaque sortie ! Lorsque l’on va les additionner sur le mois, avec le litre qui va peut-être dépasser les 1 €, ça va commencer à faire très lourd !” D’autant que le trajet du retour au port passe obligatoirement par la case de la criée de Port-La-Nouvelle pour y déposer le fruit de la pêche. Celle de Port-Vendres ayant cessé son activité en 2014.

Une crise des carburants qui nous ramène à celles de 2006 et 2008 où l’État avait versé un fonds de prévention des aléas à la pêche (FPAP). Des mesures appréciables à l’époque mais rejetées à ce jour par la profession car, au bout du compte, les patrons de pêche ont du rembourser ces aides dénoncées par l’Europe. “L’idéal serait que l’on trouve une solution euro-compatible, sous forme d’aides directes aux pêcheurs, quels qu’ils soient et, bien entendu, en fonction de leurs consommations de gasoil !” clame avec urgence le président du syndicat des pêcheurs Bernard Pérez, alertant qu’un emploi de marin pêcheur génère en moyenne trois à quatre postes à terre. Un impact qui risque de peser lourd sur l’avenir de l’ensemble d’une filière déjà fragilisée par le plan européen “West Med” qui réduit le nombre de jours de sorties des chalutiers, le projet d’implantation au large d’éoliennes flottantes qui délimite les zones de pêches, le plan de sortie de flotte qui incite, avec la prime de déchirage, la mise à la casse des navires, sans oublier l’appauvrissement de la ressource marine.

En attendant, la date annoncée ce week-end par le Premier ministre Jean-Castex, d’appliquer à partir du 1er avril une remise de 15 cts par litre de carburant pour tout le monde, y compris les professionnels, semble lointaine et insuffisante pour rééquilibrer la rentabilité des métiers de la pêche et les inciter à reprendre sereinement la mer…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *