Hausse des taux d’intérêts : l’arme ultime pour faire baisser l’inflation ? [par Thierry Masdéu]
Dans sa lettre d’orientation du 27 avril 2023 au président de la République, le gouverneur de la Banque de France (BDF), François Villeroy de Galhau, titrait : “Comment la France et l’Europe vont vaincre l’inflation”. Un rapport d’une vingtaine de pages qui fait état des causes, symptômes et “remèdes” à déployer pour ramener d’ici deux ans, au niveau national, le taux actuel des + 5,4 % à + 2 %.
Précipitée par les chocs de la reprise post-Covid qui a généré une forte demande par rapport à l’offre disponible, puis la guerre en Ukraine, cette crise des prix a fait flamber le coût des énergies, des matières premières et en particulier agricoles, relate dans sa lettre le gouverneur de la BDF. Une inflation qu’il qualifie de maladie économique et sociale, notifiant : “C’est là précisément que la politique monétaire peut et doit agir.” D’autant que l’inflation serait devenue plus interne avec des risques de persistance en s’élargissant à l’ensemble des biens manufacturés et des services, dont la hausse des prix a atteint les + 4,5 %. Des composantes de l’inflation dite “sous-jacente” qui représentent tout de même 70 % des prix du panier de consommation, mais moins perceptibles au quotidien comme les prix de l’énergie et de l’alimentation qui complètent les 30 % restants.
Une situation à laquelle la Banque centrale européenne (BCE) a bien évidemment réagi en augmentant régulièrement ses trois taux directeurs. Outils principaux qui pilotent tout le système bancaire européen. Les banques commerciales qui se refinancent auprès de la BCE ont à leur tour augmenté leurs taux d’intérêts sur les crédits avec, comme conséquence et majoritairement pour les particuliers, une sélectivité des dossiers de financement beaucoup plus accrue pour les obtenir.
À l’approche du 4e trimestre 2023, nous avons sollicité la directrice des Pyrénées-Orientales de la Banque de France, Aurore Markiewicz, pour un décodage et une analyse actualisée de cette tendance. “Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que nous sommes passés de taux directeurs négatifs à positifs, c’est à dire que, pour les banques qui empruntaient, cela ne leur coûtait rien. On peut dire que nous avons vécu, de 2015 à 2021, des années exceptionnelles avec des taux d’intérêts quasi nuls, on a été très mal habitué !” rappelle avec justesse la directrice, évoquant qu’entre juillet 2022 et juillet 2023 le Conseil des gouverneurs de la BCE a augmenté de façon exponentielle ses trois taux d’intérêts directeurs. Comme celui réservé aux opérations principales de refinancement des banques commerciales qui a pris plus de 425 points de base, soit + 4,25 %, son taux actuel. “Toutefois, cela vaut encore le coup de contracter un crédit” souligne-t-elle. “Actuellement, l’inflation est à 5,4 %, et en règle générale, le taux octroyé aux entreprises oscille sur une moyenne de 4,6 %, un taux en dessous de celui de l’inflation. C’est donc encore propice pour emprunter et s’endetter…”
Un constat qui semble bien se confirmer avec un taux de croissance des crédits qui, selon la directrice, reste, tant au niveau national que dans les P.-O., sur une courbe ascendante. Une cote qui doit aussi certainement son salut à l’ajustement, au 1er mars dernier, d’une révision mensuelle (provisoire) et non trimestrielle par la BDF du taux d’usure. Un plafond de verre statué par la BDF qui bloquait de nombreux prêts bancaires par sa non adéquation temporelle avec l’élévation mensuelle des taux directeurs de la BCE. Taux d’usure qui, rappelons-le, est avant tout instauré par la législation pour protéger les ménages qui empruntent.
Poussée de fièvre, convalescence et début de reconstruction
Pour autant, Aurore Markiewicz insiste sur le fait qu’il ne faut pas uniquement focaliser économie et inflation que sur la hausse des taux d’intérêts. “Certes ils sont une des composantes pour la juguler et nous espérons, avec le concours de la BCE, pouvoir modérer l’inflation autour des 3 % d’ici fin 2024 afin d’atteindre les 2 % fin 2025.” annonce avec assurance la directrice, rappelant aussi des impératifs à suivre pour muscler l’économie. “Dans sa lettre sur l’inflation adressée au président, notre gouverneur préconise aussi une meilleure maîtrise dans les dépenses publiques (voir % comparatif zone Euro). C’est à dire que l’argent a été mis sur des dépenses de fonctionnement sans prioriser les dépenses d’avenir ! Mais aussi augmenter notre capacité d’offres et d’innovations ou encore reconstituer un tissu productif pour attirer les investisseurs étrangers.”
Comparatif des dépenses publiques en Europe : | |
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Italie | 56,7 % du PIB |
Allemagne | 49,7 % du PIB |
Suède | 48,1 % du PIB |
Espagne | 47,8 % du PIB |
Pays-Bas | 44,5 % du PIB |
France | 58,1 % du PIB |
Zone Euro | 49 % du PIB en moyenne (hors France). |
Sauf nouvelle crise exceptionnelle, le 4e trimestre 2023 afficherait une décélération de l’inflation. Le coup de fièvre serait passé, mais l’économie reste en convalescence le temps que les mesures annoncées fin 2025 fassent leur effet. Comme le confirme la directrice de la BDF des P.-O., la période serait même plutôt sur une bonne dynamique dans le secteur de la construction et du bâtiment. “Après un printemps où on a eu quelques frayeurs, on disait même dans notre jargon « le bâtiment mangeait du carnet de commande », c’est à dire que la commande publique n’arrivait pas, et les dernières enquêtes nous permettent de voir que la situation s’est débloquée. À mon sens, on va vers une rentrée qui sera plutôt celle du début de reconstruction !” Une reprise des chantiers publics de la construction qui devrait relancer le marché de l’emploi et compenser la baisse des crédits non octroyés aux particuliers.
Même si au niveau national le nombre des défaillances d’entreprises (voir ci-dessous) peut inquiéter avec ses 49 863 cas fin juillet, la directrice reste confiante. “Sur les 20 dernières années, le rythme annuel au niveau national de défaillances d’entreprises a été de l’ordre de 55 000 cas, à partir de 70 000, là, cela commencera à nous inquiéter !” Pour l’heure, les meubles auraient été sauvés et selon les termes employés par le gouverneur aux agences de la Banque de France “On a réussi à faire monter les taux d’intérêts sans créer une récession !”
Défaillances d’entreprises au 2e trimestre 2023Le département des Pyrénées-Orientales enregistre 1 314 cas, soit un taux de croissance annuelle de + 65 %. Mais il n’est pas le plus impacté de la Région d’Occitanie (qui affiche un taux à 67 %), où l’Aude, le Lot et le Tarn le devancent très largement. |
Banque de France des Pyrénées-Orientales
Le siège de Perpignan gère à la fois les départements des P.-O. et de l’Aude, bien qu’il y ait une présence territoriale avec une directrice et un accueil pour les particuliers sur Carcassonne.
Au total, 35 agents aux services des entreprises et des particuliers. 4 000 personnes franchissent chaque année les grilles du siège à Perpignan. Elle a pour mission essentielle les services à l’économie pour les entreprises. 4 500 entreprises qui réalisent plus de 750 000 € de CA sont cotées chaque année.
Mensuellement, des études de conjoncture sont menées par les agents sur une quarantaine d’entreprises, tous secteurs confondus. Ces enquêtes sont ensuite fusionnées au niveau régional et donnent lieu tous les mois à une publication appelée “Tendances régionales”. Un baromètre de l’économie par secteurs, beaucoup plus efficient et instantané que les rapports de l’Insee.