Parce que rien n’est jamais simple sem. 46-2022 [par Yann Kerveno]

Sri Lanka

On a beaucoup glosé sur l’expérience sri lankaise de passage unilatéral à l’agriculture biologique. Vous vous souvenez peut-être, c’était l’an dernier au détour d’un printemps morne, le gouvernement du pays décidait, du jour au lendemain, d’interdire toute autre pratique agricole que l’agriculture biologique. Au grand ravissement des défenseurs de l’environnement du monde entier qui voyaient là, enfin, l’accomplissement du grand destin qu’ils attendent. Le grand soir en somme. La réalité était un poil moins idyllique, nous l’avons dit dans ces colonnes, ce brusque retournement était surtout dû à des questions financières, le pays n’ayant plus de quoi aller acquérir des engrais de synthèse ou des produits phytos sur le marché international… La décision était un donc surtout une tentative de greenwashing d’une incapacité financière qui mettait en cause la gestion des finances de l’État. Passons.

Machine arrière

Quelques mois plus tard, le gouvernement devait faire machine arrière devant l’effondrement des rendements et des productions agricoles qui venaient amplifier la crise dans laquelle était plongé le pays. Au grand bonheur des opposants à l’agriculture biologique qui trouvaient là la justification d’un de leurs arguments préférés : “on ne peut pas nourrir la planète avec la bio.” Bref, laissons les militants dans leurs coins et prenons un peu de recul. Une étude récente, menée dans le pays par un cabinet indépendant (non ce n’est pas McKinsey mais l’étude est financée par Croplife Asia, une ONG agissant pour la promotion de la science et les biotechs en agriculture), donne un éclairage assez précis sur ce qui s’est passé, et ouvre des pistes de réflexion. Que dit-il ce rapport ? Que la plupart des agriculteurs sondés ont eu beaucoup de mal à avoir accès aux produits de synthèses qui subsistaient dans le pays et qu’ils les ont touchés à des prix exorbitants quand ils en ont trouvé et que, pour limiter les frais, ils ont fortement réduit leur usage.

Et au final ?

Les pertes de productions ont été énormes, la plupart des agriculteurs estimant la perte à la moitié de leurs rendements, au minimum, et obligeant le gouvernement à creuser ses dettes en allant acheter du riz sur le marché international… Il dit aussi que 81 % des agriculteurs ont été confrontés à des problèmes plus importants de désherbages, 73 % des problèmes plus importants avec les insectes et 77 % ont eu des problèmes avec les maladies des plantes. Bref, que nous dit cette étude ? Elle met en chiffres les dégâts que peut causer une approche délirante, ou dogmatique, sur les systèmes agricoles. Et vient conforter l’idée qu’une transition ne peut se décréter mais qu’elle doit s’envisager sur le temps long, en prenant en compte l’ensemble du système alimentaire et social et non seulement l’agronomie. Imaginez que 25 % des agriculteurs sondés ont même songé à abandonner leur métier si l’interdiction était demeurée en place en 2022…

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