In memoriam : Roger Roman [par Jean-Paul Pelras]

Roger, c’était un peu Belmondo, version paysan bien entendu. Je devais avoir une quinzaine d’années lorsque je le vis pour la première fois à l’occasion d’une manifestation agricole où je suivais mon frère François. Bien des années plus tard, toujours impressionné par le personnage, je le rencontrais à Bages, dans son bistrot, pour publier son témoignage dans “Ceux qui dérangent et ceux qui s’arrangent”. Et j’écrivais : “Il crie, il se marre, il sert un pastis, il a oublié… Se frotte le visage, enlève ses lunettes, les remet. Il ressert un pastis, il demande à Lulu, son épouse… Il plaisante, il tape sur le comptoir, il réfléchit, il affiche un air grave, il essuie deux verres, il encaisse, il remet. Il porte des bretelles sur un ventre plat, une chemise aux manches retroussées… Et il raconte : “Ce qui m’a vraiment marqué, c’est ce chauffeur espagnol, en train de pleurer sur le trottoir. On lui a récupéré ses affaires et puis, à quelques mètres du camion en flammes… on a tenté de le consoler”.

De cette période tourmentée pendant laquelle il fut président du Syndicat des producteurs de fruits et légumes, celui qui fut chauffeur routier avant de devenir agriculteur, puis bistrotier et commerçant, se souvient surtout de ce 5 mai 1980 qui se transforma en journée “frontière morte” : “Quelques camions furent contrôlés, certains furent vidés et un poids lourd transportant des vitres fut même incendié. Ensuite, après avoir déversé un chargement de haricots italiens au Mas Sabole, nous nous sommes rendus devant le Castillet pour vider un camion de béton et lancer quelques artichauts dans les jardins du préfet.” Le 19 mai, les cours de la tomate sont au plus bas. 40 camions sont inspectés, 5 contenant de la tomate d’importation sont vidés et brûlés. Le 16 juin, les producteurs lancent un appel devant l’inaction des pouvoirs publics pour empêcher les importations de fruits et légumes : “Nous sommes déterminés à brûler les camions espagnols, quel qu’en soit le contenu et tant qu’un prix décent de nos produits ne nous sera pas garanti.” Pas moins de neuf camions furent incendiés, dont huit sur l’autoroute. Les producteurs respectèrent à la lettre et sans attendre les propos tenus le matin même. Tout y passa : transport de savon, de produits ménagers, de citrons, de pastèques, de machines à écrire, de papier, de ferraille… “Nous étions toujours écoutés, jamais entendus. Les problèmes nous dépassaient. Il fallait gérer un drame humain. Quelques années plus tard, au Copa (Comité d’organisations professionnelles agricoles – Bruxelles), j’ai appris qu’en matière de fruits et surtout de pommes, on importait autant de l’hémisphère Sud que ce que l’on jetait au retrait chez nous (destruction des invendus).”

Roger Roman, victime d’un accident de la route, est donc parti la semaine dernière rejoindre, au paradis des grands syndicalistes agricoles roussillonnais, ceux qui, comme lui, se sont battus pour que les paysans d’ici puissent vivre dignement de leur métier. Du Mas Sabole à La Garenne, en passant par Salses, Le Boulou, quelques trains déversés du côté
d’Ortaffa et ces rails de chemin de fer trainés jusque devant la préfecture, ils furent, comme lui, des milliers à se mobiliser pour éviter cette déprise que nous connaissons malheureusement désormais.

Adieu donc Roger. À ton épouse à ta famille, L’Agri présente ses condoléances attristées.

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