Olivier Mevel : « Le monde agricole n’a pas à supporter le train de vie du distributeur » (Par Yann Kerveno)

Maître de conférences à l’université de Brest, Olivier Mevel n’est pas tendre avec le travail mené par l’observatoire de la formation des prix et des marges. Il juge même que rien ne va. Dépeçage.

« Si un thésard présentait ce type de travail pour sa soutenance, c’est clair qu’il serait recalé, qu’il n’aurait pas son doctorat. » La sentence tombe aussi raide que le couperet de la guillotine dans les propos d’Olivier Mevel quand on lui demande pourquoi il est dubitatif quant aux travaux de l’observatoire de la formation des prix et des marges. Vous vous souvenez ? Il y a quelques semaines, dans ces colonnes, nous nous étions fait l’écho de la publication du rapport 2021, remis comme chaque année aux parlementaires, de cet observatoire dirigé par Philippe Chalmin. Comme journaliste, nous en avions alors extrait un angle, celui des 10 ans, du 10e rapport, parce que les tendances sur le moyen terme sont souvent plus instructives que des mesures à un instant T comme il est souvent dit. Alors pourquoi Olivier Mevel, Maître de conférences en Sciences de gestion, commerce, logistique et distribution de l’Université de Brest tique aussi fortement ? Parce qu’il estime que les résultats sont de toute façon faussés et ne reflètent en rien la réalité de la rentabilité des grandes surfaces. « La méthodologie employée pour produire ce rapport est tout sauf rigoureuse et elle pêche par un point majeur, il n’y a rien de contradictoire dans cette étude » assène-t-il. C’est-à-dire que l’ensemble des observations est basée sur les déclarations des distributeurs. Qui peuvent ainsi déclarer ce qu’ils veulent sur les rentabilités supposées.

Se concentrer sur la valeur ajoutée

« Pour que ce soit plus crédible, sérieux, il faudrait que les distributeurs acceptent qu’on aille mettre le nez dans leurs comptes de façon aléatoire pour vérifier ce qu’ils avancent » explique-t-il encore. « Pour que les résultats soient valables il faudrait que l’étude se fasse sur la valeur ajoutée du rayon et pas de manière générale. » Parce qu’on peut faire supporter n’importe quoi à n’importe quoi, le salaire de dizaines de milliers ou centaines de milliers d’euros de l’adhérent Leclerc, les charges immobilières de la SCI qui héberge le magasin poursuit-il en substance. « En aucune façon le monde agricole n’a à supporter le train de vie du distributeur. Aujourd’hui, l’observatoire ne donne pas une image juste de la répartition de la valeur ajoutée dans la filière. » Alors qu’il sert de document de référence aux parlementaires quand il s’agit de tenter de réguler les relations entre l’amont et l’aval. « Il est important de se poser la question de qui reçoit quoi. On voit la viande bovine label rouge à 25 euros le kilo sur toute la carcasse au détail, le steak haché entre 15 et 16 euros, quand on ramène ça au chiffre d’affaires par carcasse… » lâche-t-il ensuite. Comment prétendre que le rayon boucherie perd de l’argent ?

Un juge de paix ?

Pour que les résultats soient plus conformes à la réalité, et fournissent de vraies indications, Olivier Mevel plaide pour qu’on s’inspire des méthodes du contrôle de gestion plutôt que de l’économie. « Il conviendrait de segmenter les formats de magasins, les enseignes, de s’arrêter comme je le disais à la valeur ajoutée, c’est-à-dire le chiffre d’affaires moins les consommations intermédiaires, c’est tout. » Et là on verrait qui gagne de l’argent. Mais c’est aussi pour l’enseignant breton une question de moyen, que son collègue, Philippe Chalmin, ne réclame pas. « Cet observatoire devrait être un juge de paix, mais aujourd’hui il ne l’est pas, il ne produit aucune information tangible, je peux même dire qu’il sert à endormir le monde agricole. » Passée cette charge, il réclame d’aller encore plus loin qu’un simple observatoire au vu du contexte. « Il faut être amené à penser autre chose, j’en appelle pour ma part à la création d’une autorité de régulation des filières alimentaires, à l’instar de ce qui existe dans les télécommunications, la publicité, la concurrence. Cette dernière est un bon exemple, elle permet de limiter la prédation des plus forts sur les plus faibles. » Un bon challenge pour la troisième révision de la loi Egalim ? 

 

Une réflexion sur “Olivier Mevel : « Le monde agricole n’a pas à supporter le train de vie du distributeur » (Par Yann Kerveno)

  • 31 août 2021 à 9 h 48 min
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    Mevel ne lit visiblement pas le rapport qu’il critique . Les comptes par rayon des GMS que calcule l’Observatoire de la formation des prix et des marges identifié plusieurs soldes intermédiaires dont marge brute sur achats (soit pas très loin de la valeur ajoutée que réclame Mevel, celle-ci pouvant être d’ailleurs calculée par le lecteur en enlevant à cette marge sur achats les autres conso intermediaires), la marge dure demi nette (déduction des frais propres au au rayon, avant toute imputation des charges que Mevel ne voudrait pas voir figurer dans l’analyse …) .
    Il s’insurge contre la méthode qui conduit à la marge nette négative de la boucherie mais c’est la même méthode qui conduit à donner une marge nette très positive en charcuterie, en volailles…
    Bref toutes les donnes fournies par l’observatoire dans l’air détail permettent de connaître ce que Mevel demande : des résultats par rayon avant toute imputation de charges générales réparties … il suffit de savoir ou de vouloir lire le rapport !
    Seule critique recevable de Monsieur le Maître de Conférence en Gestion qui critique bcp mais n’a produit pratiquement qu’1 seul article avec un peu de fond sur les comptes de la distribution (sur le seul rayon laitier) : il faudrait en effet séparer les résultats selon les différents types de réseaux de GMS : intégrés à actionnaires (Carrefour par ex), intégrés à capital familial (Auchan), coopératives (Leclerc, Système U) et autres commerce associé (Intermarché) et selon les formats de magasins, en intégrant d’ailleurs à l analyse les « petits » en franchise… mais ceci suppose + de moyens d’enquête

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