Mais à qui appartiennent ces lunettes de soleil ? (Par Jean-Paul Pelras)
Bien sûr il y eut le magnétisme ministériel, celui qui opère toujours lorsqu’un membre du Gouvernement se transporte en province et, à fortiori, dans les champs au chevet d’une agriculture encore une fois impactée par le caprice des éléments. Bien sûr, il y eut les photos du ministre de l’Agriculture, l’air compassé, regardant, dans la main du producteur, l’abricot menacé, la pèche condamnée, le légume déshydraté. Bien sûr, il y eut le protocole, les élus de l’opposition, ceux (beaucoup plus rares) de la majorité, les représentants des collectivités, ceux de la profession. Bien sûr, il y eut les annonces, à bien y regarder mi-figue, mi-raisin. Celles qui condamnent les caprices du temps sans jamais designer les lubies et les lobbies de l’écologie, sans dénoncer la responsabilité de ceux à qui une grande partie du problème doit pourtant être imputé. Car il est des haches que les pouvoirs publics se gardent bien de déterrer, car il est des combats que la politique politicienne n’ose plus mener.
Reste, une fois que les cortèges se sont dissipés et que les berlines se sont éloignées, les promesses qui devront résister aux critères d’attribution, aux circonvolutions de l’administration, à la complexité des dossiers et à l’épaisseur de l’enveloppe qui sera budgétée. Une enveloppe dont le montant éventuel n’a pas été évoqué, laissant à l’Etat le temps de le décider, à ses techniciens celui de l’évaluer, et aux agriculteurs celui d’espérer.
Restent également les arbitrages qui devront être prononcés entre agriculture et tourisme dès que les estivants commenceront à ouvrir sans compter l’eau des robinets, à barboter dans les piscines, à glisser sur les aqua-toboggans, à prendre des douches plusieurs fois par jour de côté-ci du département où la couleur de l’eau ressemble aussi, maintien de l’économie locale oblige, à celle de l’argent.
Accessoirement …
Le 9 mai prochain le préfet des Pyrénées-Orientales donnera donc le tempo, le mode d’emploi, concernant ce qui sera interdit et ce qui ne le sera pas. Avec, mais est-il encore « vendeur » de l’espérer, la pluie au chapitre des éventualités. Cette pluie dont les médias ne parlent jamais, car ils préfèrent titrer avec des usines qui dessalent l’eau de mer, des poissons retournés le ventre en l’air, des barrages vides, la vision africaine d’un Roussillon desséché, des photos prises au grand angle de terre craquelée, des communes privées d’eau, un enfant posant avec un bidon devant une fontaine, des « Unes » anxiogènes, la prohibition des piscines gonflables, le lavage des voitures, l’interdiction d’arroser les potagers, la stigmatisation de ceux qui remplissent l’abreuvoir et l’opprobre qui pourrait s’abattre sur celui qui a osé, sacrilège suprême, traverser la rue le soir venu, en promenant un arrosoir.
Oui, cette pluie de mai qui pourrait déjouer tous les pronostics, renvoyer les Cassandre du moment à leurs petites comptabilités et redonner de quoi espérer à nos arboriculteurs, à nos éleveurs, à nos maraîchers.
En attendant ? Et bien, en attendant, nous pouvons toujours prendre connaissance de ce communiqué diffusé par le Bureau de la représentation de l’Etat et de la communication interministérielle : « Lors de la conférence de presse du ministre de l’Agriculture à Ille sur Têt, coopérative Ille fruits, une paire de lunettes de soleil a été retrouvée dans la salle. Si elle vous appartient vous pouvez nous contacter. » De l’importance du message on ne peut plus officiel, diffusé à l’heure où, accessoirement, nous risquons aussi de perdre quelques paysans et l’espoir de pouvoir un jour les retrouver.