Irrigation agricole: le syndicalisme mobilisé (par Thierry Masdéu)
Préserver un droit d’arrosage pour sauver une partie des cultures, cette mission qui, selon les secteurs s’avérait déjà peu probable, s’annonce sans équivoque si des dérogations ne sont pas actées.
En effet depuis vendredi 28 avril la décision du préfet Rodrigue Furcy qui élève le niveau « d’alerte renforcée » à celui de « crise » au 10 mai prochain sur les territoires des bassins de la Têt et de l’Agly, annihile tous les efforts et espoirs de la profession. Une inquiétude qui était déjà palpable la veille lors du point presse organisé à la station “Les Fruits du Roussillon” à l’occasion du déplacement du président de la FNSEA, Arnaud Rousseau.
Nouvellement élu à la tête du syndicat national, il a tenu a apporter et témoigner son soutien à l’ensemble des agriculteurs. “Me déplacer dans les P.-O., c’était d’abord prêter attention à une situation que je savais, mais que je mesure en venant ici extrêmement tendue ! Et la première chose que je voulais souligner, c’est l’esprit de responsabilité que je constate.” Témoigne avec empathie le président au milieu des jeunes vergers de la plantation de David Massot, soulignant que cette situation préfigurait probablement de ce qui pourrait advenir dans bien d’autres départements. “Ce qui va être pris comme décision ici, ce qui va être conduit comme politique publique sera scruté, regardé. Mais ce qui est sûr, et c’est le message que je suis venu porter, c’est que l’agriculture ne sera pas la variable d’ajustement ! Elle ne sera pas le bouc émissaire ni la victime expiatoire du changement climatique, qui nous concerne tous, comme citoyens, comme acteurs de l’économie des territoires, et que s’il y a des efforts à consentir, probablement faudra t-il les faire, mais que l’effort à consentir devra être équitablement réparti !”
Le caractère exceptionnel de cette sécheresse, qui perdure sur les P.-O. depuis juin 2022, n’a malheureusement pas mis la puce à l’oreille aux autorités responsables de la gestion du niveau des barrages, comme celui de Vinça, qui a, en octobre dernier et comme à l’accoutumé, été délesté de sa précieuse ressource en eau. Un acte lourd de conséquences dénoncé à nouveau avec force par l’ensemble des responsables syndicaux agricoles du département venus accompagner la visite d’Arnaud Rouseau. “Pourquoi il y a autant de tourmente en ce moment dans les Pyrénées Orientales ? Parce que oui, effectivement, il y a une mauvaise gestion depuis des années et des années. Et on a su leur dire à la moindre occasion où elle se situait ! Par contre, maintenant, ce que l’on veut, c’est des actes sur le territoire pour pouvoir demain installer des jeunes.” Entonne avec fermeté Pierre Hylari, président des JA 66. “Parce que clairement, dans ces conditions, quels parents voudraient motiver son enfant à s’installer en agriculture? Qui ? Alors moi, je veux bien que l’on nous parle de souveraineté alimentaire, que l’on nous parle de transition écologique, on a toujours été une filière qui s’est adaptée à toutes les contraintes ! Et il faut aussi arrêter de dire au travers de messages dans la presse que l’on consomme de l’eau ! On consomme de l’eau pour produire des aliments que l’on mange, c’est aussi important que l’eau que l’on boit !”
Contraintes et conflits entre les usages
Des propos complétés et relayés avec la même fermeté par le président de la FDSEA 66, Bruno Vila. “De toute façon, nous avons dit que les agriculteurs n’allaient pas crever la bouche ouverte si des mauvaises décisions sont prises ! Notre souveraineté alimentaire, c’est notre production locale ! Bien évidemment, nous, les responsables syndicaux, on a des responsabilités, on essaye de maîtriser les choses, on essaye d’être constructif. À partir du moment où on nous sacrifie, nous, on arrête d’être responsables ! Les gens feront ce qu’ils pensent devoir faire pour jouer leur survie. Et là, honnêtement, il va y avoir un gros problème d’ordre public à gérer dans les Pyrénées-Orientales cet été ! ” La venue du président de la FNSEA, en prélude à la réunion du comité sécheresse, comme celle de Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion sociale des territoires, ou encore celle annoncée le 6 mai prochain du ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, témoigne de la gravité d’une situation inédite à laquelle vont être confrontés l’ensemble des habitants et acteurs économiques du département. D’où les craintes du préfet qui mesure la portée de sa décision consistant à devoir gérer, dans les jours à venir, “contraintes et conflits entre les usages”. Une guerre de l’eau, qui était pourtant prévisible mais qui semble, à ce jour, difficilement inévitable. Même si les ministères annoncent une attention particulière avec des modalités d’accompagnement nécessaires pour les cultures impactées, ce couperet sur l’arrosage risque d’engendrer des conséquences existentielles irréversibles pour les exploitations agricoles. Évènement historique qui s’apparente à celui déjà vécu par la profession lors de l’épisode neigeux de janvier 1992.