Machinisme : “Le client n’a plus le choix” [par Yann kerveno]

Sur le terrain les choses ne sont pas bien simples. Prix, délais, que se passe-t-il du côté des matériels agricoles ?

“Ce qui est compliqué, c’est que tous les prix ont explosé et les délais aussi, avant c’était deux à trois mois, aujourd’hui c’est… un an !” Minimum. “Un tracteur vigneron qui valait 35 000 euros il y a trois ans en vaut le double aujourd’hui” explique Julien Gleyze, technicien équipement chez Arterris. “Un tracteur à 65 000 euros, ça fait réfléchir, les vignerons sont plus là à essayer de faire durer le matériel existant tout en migrant vers les outils de travail du sol, de l’agriculture de conservation…”

Hervé Gustin est prof, enseignant en agro-équipement dans le Nord de la France et passionné de machinisme. Le terroir est autre mais les temps sont les mêmes. Il confirme le témoignage de Julien Gleyze. “Oui, les constructeurs sont à la peine, il y a des problèmes sur une bonne partie des composants d’un tracteur par exemple. C’est un peu la situation que connaissent aujourd’hui les constructeurs automobiles, mais en pire, parce que les volumes produits ne sont pas les mêmes” détaille-t-il en préambule. L’ancien directeur général d’Axema, le syndicat des fabricants d’agro-équipement, Alain Savary, confirme : “Il y a des tensions sur le marché des matières premières industrielles, sur les composants électroniques, sur le métal, les composants hyrdauliques… Et ce sont des sources de dysfonctionnements des chaînes industrielles, plus un facteur d’augmentation des coûts et des délais avec, à la clé, une désorganisation des délais de commande…”

Gammes plus resserrées

Hervé Gustin analyse ensuite les conséquences directes sur le marché : “En gros, les concessionnaires avaient le choix entre investir et avoir des tracteurs à vendre, ou être attentistes et se retrouver aujourd’hui avec des parcs vides et rien à vendre.” Inutile de dire que ceux qui ont fait le premier choix, à condition de le pouvoir, sont aujourd’hui en position de force sur le marché avec des gammes négociées aux prix de 2021…

“Nous entrons dans un temps, c’est ce qui change aujourd’hui, où le client n’a plus le choix. Et je pense que cela va conduire à un resserrement des gammes chez les constructeurs dans le futur et les équipes commerciales vont aussi fondre parce qu’il y aura moins à faire…” Il faudra passer à la caisse et avoir le temps pour bénéficier des options voulues. “Oui, c’est quelque chose qu’on entend aujourd’hui chez les constructeurs que cette idée de simplification des gammes” poursuit Alain Savary. Le marché de l’occasion étant inexistant, il n’y a guère d’alternative.

Plus d’automatismes

Et les tendances ? Pour l’ancien directeur général d’Axema, aujourd’hui tout passe par le renforcement de la place de l’intelligence et des automatismes en poussant jusqu’aux automatismes ultimes, les robots. On voit aujourd’hui les grands du secteur investir dans ce domaine, jusqu’ici porté par des start-up, le plus souvent créé par des ingénieurs plutôt issus de la robotique que des métiers agricoles. “Les robots peuvent résoudre les questions liées à la main d’œuvre, à la pénibilité du travail mais aussi aux questions liées à l’énergie” poursuit-il. “Un robot a moins besoin de puissance qu’un tracteur, parce qu’il est plus petit et, en plus, il peut travailler 24 heures sur 24…”

Cette question énergétique est-elle d’ailleurs prise en compte par les constructeurs “traditionnels” aujourd’hui ? “Il n’y a pas vraiment eu d’évolution du côté des moteurs depuis une quinzaine d’années” note Hervé Gustin, “on n’a pas noté de gains fondamentaux, tout, en la matière, repose en fait sur le conducteur et sa façon de conduire et la puissance n’a pas grand chose à y voir, contrairement à ce qu’on peut penser… Pour tout dire, aujourd’hui, ici dans le Nord de la France, ce ne sont pas seulement les tracteurs qui sont recherchés. Nos filières endives, pommes de terre, ont besoin de froid. Et quand on compare le prix de l’électricité à celui du gas-oil, il n’y a pas photo, les gens achètent des groupes électrogènes” CQFD.

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