Ludovic Roux : “Aider la viticulture, c’est investir dans nos territoires” [par Yann Kerveno]

Samedi, les vignerons du Sud de la France sont invités à battre le pavé narbonnais en famille. Ludovic Roux, président de la coopération viticole régionale, estime qu’il faut un New deal pour la viticulture.

Comment évaluez-vous la situation économique de la filière aujourd’hui ?
C’est très délicat et aggravé par la lenteur de la procédure mise en place pour la distillation qui va décaler au troisième trimestre 2024 la dernière phase de distillation et les paiements qui y sont associés. Si la distillation avait été faite en temps et en heure, nous serions aujourd’hui un peu plus sereins. Mais, pour faire simple, on peut classer les entreprises en trois familles. La première rassemble celles qui s’en sortent assez bien, qui parviennent à obtenir des rendements corrects, ont des productions avec une bonne partie de blancs ou de rosés en IGP. Ce sont des entreprises qui souffrent parce que les coûts de productions ont pris 20 % et que cela n’a pas été reporté sur le prix de vente, mais elles ne sont pas dans des situations désespérées. Le deuxième groupe, pour lequel le niveau de difficulté est important, rassemble celles majoritairement placées sur le marché des rouges AOP et qui maintiennent des rendements moyens à la vigne. J’aurais tendance à dire qu’à l’intérieur de ce groupe, les situations peuvent être très différentes, avec des structures qui ont les reins suffisamment solides, caves et adhérents, et d’autres beaucoup plus fragiles, donc potentiellement plus en difficulté.

Et pour le troisième groupe ?
Pour le troisième groupe, les temps sont parfois dramatiques. Il rassemble les entreprises principalement positionnées sur rouges en AOP et qui sont obligées de composer avec des rendements faibles. Elles sont en difficulté, leurs adhérents tout autant, et n’ont pas de moyens pour investir dans le commerce… C’est dans ce groupe que l’on entend parler aujourd’hui de la perspective de cessation de paiements…

Quelles solutions envisager pour ces entreprises ?
Pour les coopératives, c’est la restructuration, les fusions avec d’autres caves. Pour les vignerons, il va falloir que les pouvoirs publics prennent rapidement conscience que c’est une question de territoire. Que chez nous, s’il n’y a pas de vignes, on ne fera rien pousser d’autre et que cela aura des impacts économiques, sociaux et environnementaux, avec, nous le disons souvent, les incendies… Il y a ensuite les questions très immédiates de trésorerie. Nous avons déjà eu les 2 M € d’exonération de la Mutualité sociale agricole, mais il en faudrait un peu plus, tout comme les reports d’impôts fonciers. Il faudra aussi se pencher sur la question du minimis, le plafonnement des aides qu’une entreprise peut percevoir, parce qu’avec la succession de crises, beaucoup de vignerons sont très proches de ce plafond. Nous demandons aussi une année blanche pour les annuités bancaires, et leur report en fin d’amortissement ainsi que la prise en charge des intérêts générés par cette mesure par l’État. Cette mesure est essentielle pour aider les jeunes vignerons qui sont les plus endettés. Nous demandons aussi, comme cela avait été fait avec efficacité pendant la Covid, l’aide aux entreprises de l’aval, l’aide au stockage privé puisque le négoce ne porte plus du tout les stocks aujourd’hui et que cela nous coûte de plus en plus cher, en particulier pour les vins qu’il faut tenir au frais et pour la trésorerie que nous sommes contraints d’avancer pour payer nos adhérents.

Et l’arrachage ?
Oui, c’est d’actualité, mais il ne faut pas le faire n’importe comment. L’idée c’est d’arracher sans pour autant perdre le potentiel. Parce que l’on peut espérer que le marché reparte et que la consommation mondiale est stable. Il faut donc pouvoir arracher, s’engager à ne pas replanter les trois premières années et conserver une autorisation de le faire les trois suivantes. Avec une prime pour compenser le coût de l’arrachage et une indemnité de “non-production” pendant les trois premières feuilles. Au cas où les vignerons ne veulent ou ne peuvent pas replanter, il faut qu’ils puissent transmettre leur autorisation et leur droit à prime à une plantation nouvelle qui n’a pas les droits. Et en l’absence de replantation et de possibilité de transmettre, il faut permettre aux vignerons d’arrêter sans avoir à rembourser la prime de départ et que soit mis en place un plan de préretraite.

Pour autant, malgré toutes ces difficultés, les prix n’ont pas décroché…
Non, il y a bien eu quelques tentatives de la part du négoce, mais nous sommes parvenus à limiter la casse. Ce qui prévalait hier, baisser les prix pour faire repartir les marchés, ne fonctionne de toute façon plus.

Nous sommes là majoritairement sur les questions conjoncturelles, qu’en est-il du structurel ?
Il va falloir arrêter de tourner en rond et considérer que nos zones méditerranéennes sont éreintées par le changement climatique, avec les coups de chaud, les sécheresses. C’est devenu un véritable handicap qui doit être compensé dans la prochaine PAC. On peut imaginer que cela se fasse par des paiements pour services environnementaux, des mesures agro-écologiques ou l’ICHN, peu importe, mais il faut gonfler l’enveloppe consacrée à ces dispositifs. Il faut aussi que cessent les stigmatisations du vin dans les campagnes anti-alcool qui ne visent que nous, que les risques que nous avons pris en allant vers la HVE, ou le bio, soient enfin reconnus et rémunérés par le marché par une mise en avant de ces dispositifs par les pouvoirs publics. Et ne pas oublier que derrière la vigne, c’est la vie des villages même qui est remise en cause. Les pouvoirs publics doivent comprendre qu’amener des solutions et de l’argent pour consolider la viticulture, c’est un investissement qui rapporte.

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