Robert Vila : vigneron-maire, président de Communauté de communes et attaché à sa terre ! [par Thierry Masdéu]
Rencontre avec un élu conscient des problématiques agricoles, intercesseur et ambassadeur des pratiques locales, défenseur d’un métier qui, peu à peu, perd ses repères au cœur de ce qu’étaient pourtant, il n’y a pas si longtemps, les “jardins de l’Europe”.
Vigneron indépendant depuis 1986, Robert Vila accède, suite au deuxième tour de l’élection municipale du 10 octobre 2010, au siège de premier magistrat de sa commune, Sant Esteve del Monastir (Saint-Estève). Réélu en mars 2014, puis dernièrement en mai 2020 sous l’étiquette politique Les Républicains (LR), il prend la tête, le 11 juillet 2020, de la Communauté de communes Perpignan Méditerranée Métropole. De stature qui impose le respect, ce personnage au franc parler qui s’est engagé en 2001 dans la vie politique, n’en demeure pas moins accessible… Rencontre avec ce premier magistrat, vigneron-maire, comme il tient à le préciser qui, tous les matins, avant d’occuper ses fonctions d’élu, est en poste sur son exploitation pour assumer, gérer et organiser les tâches de la vie quotidienne.
Quelle place occupe à ce jour l’activité agricole sur votre commune ?
Aujourd’hui, sur la commune, on doit-être moins d’une dizaine d’agriculteurs à temps plein dont la moyenne d’âge oscille majoritairement plutôt vers la cinquantaine. Depuis que j’occupe les fonctions de maire, j’ai noté beaucoup plus de départs en retraite d’agriculteurs avec cessation d’activité que de nouvelles installations ! Un contraste quand, à l’époque, Saint-Estève était une bourgade fleuron de l’agriculture locale ! L’activité agricole ne pèse plus sur la commune comme elle a pesé par le passé avec ses infrastructures, il n’y a plus de coopérative, on n’a plus la conserverie sur le site Saint-Mamet, il n’y a plus d’expéditeur. Voilà, c’est une activité qui est présente, mais sans commune mesure avec l’artisanale et l’industrielle qui l’a largement supplantée !
Comment expliquez-vous cet abandon des terres ?
D’abord, le déclin a débuté au début des années 90 avec la montée en puissance des exportations agricoles dans le cadre du marché commun et notamment via l’Espagne et puis, l’épisode neigeux de janvier 92 a causé énormément de dégâts sur nos serres et cultures ! Ensuite, et ce n’est pas d’aujourd’hui, la problématique c’est la viabilité économique des exploitations ! Sans compter les difficultés à trouver de la main d’œuvre, la lourdeur des charges administratives et la fronde agribashing que subit la profession qui n’aident en rien la motivation à exercer ce métier ! Si les agriculteurs arrivaient enfin à exercer paisiblement leur métier et à vivre convenablement du fruit de leur labeur, nous aurions beaucoup plus d’installations ! Et puis c’est général, je constate que sur l’ensemble de la profession une petite poignée s’en sort bien, beaucoup arrivent juste à équilibrer et pour les autres, c’est plus l’affectif, lié à la terre, souvent épaulé par un complément des revenus du conjoint, qui font que les exploitations perdurent pour accompagner le chef d’exploitation jusqu’à sa retraite.
L’accès au foncier n’handicape pas aussi l’installation de nouvelles exploitations ?
Il n’y a pas de problème de foncier, les terrains existent, ils sont disponibles pour les cultures ! Si demain un jeune veut s’installer, je lui trouve 10 hectares sans difficulté. Mais il faut aussi tenir compte que, souvent, la valeur affective du terrain est plus forte que sa valeur marchande. La personne qui hérite d’un terrain agricole préfèrera le garder pour les quelques milliers d’euros que cela vaut, que de le vendre sauf, bien-sûr, s’il est constructible. Cette valeur affective est bien supérieure aux 0,20 ou 0,30 centimes d’euros dans les landes sur le Nord de Saint-Estève et même aux 1 à 2 euros sur la zone maraîchère au Sud de la commune. Du coup, les gens préfèrent garder ces terres qui, bien souvent, sont à l’abandon.
Dans ce cas, les collectivités n’auraient-elles pas un rôle à jouer ?
Les solutions sont plutôt restreintes, il faudrait faire un travail de foncier pour remembrer ces terrains et y installer des cultures qui puissent s’équilibrer mais, en réalité, elles ne pourront y arriver que grâce aux aides de la PAC ! Quand j’évoque la possibilité d’y produire du fourrage à bétail, c’est parce que ce sont ces subventions qui assureraient la rémunération du travail fourni et pas les revenus de la vente du foin. Alors ce que j’essaye d’inculquer à l’Agglo et que j’ai récemment rappelé aux sénateurs qui nous ont reçus au sujet du dossier sécheresse et inondation, c’est que ces zones à l’abandon, en plus de les faucarder et faucher comme préconise la loi, il faudrait aussi les labourer ! Cela nous permettrait, d’une part, de mieux lutter contre les incendies et, d’autre part, en cas de fortes pluies la terre absorberait mieux, ce qui actuellement est loin d’être le cas ! Car, même si ces terrains sont fauchés, les sols actuels sont tellement durs que l’eau glisse par-dessus, c’est comme s’ils étaient recouverts d’un enrobé.
“L’agriculteur pratique une vraie écologie et pas celle prodiguée le cul sur une chaise à Montpellier ou à Paris !”
Justement, après ces derniers mois de sécheresse qualifiés d’historiques, de part votre statut à la fois de maire et d’agriculteur, la gestion de la ressource en eau est un sujet de grande préoccupation ?
Effectivement, à Saint-Estève, agriculture et commune sont étroitement liées à l’historique des canaux d’irrigation. Et le jour où nos quatre ainés qui s’en occupent partiront, ça va être très difficile d’en prendre le relais ! Si je n’avais pas à mes côtés l’expertise de ces retraités agricoles pour la transmission des connaissances du terrain, j’éprouverais certainement des difficultés dans les décisions et choix sur la gestion de la ressource en eau, de la prévention sur les risques d’inondations, etc. C’est une expérience précieuse qu’ils ont acquise en étant tous les jours dehors, dans la campagne, voilà encore une preuve, s’il fallait en douter, que l’agriculteur pratique une vraie écologie, et pas celle prodiguée le cul sur une chaise à Montpellier ou à Paris !
En politique, comment est perçue votre position de défenseur de l’agriculture ?
Dans les intentions, oui, tout le monde y est favorable, mais dans la réalité cela reste très timide ! Régulièrement, lors de mes interventions publiques, quand j’entends dire, de la part de confrères élus et surtout des écologistes, qu’il faut sauver l’agriculture, préserver la production locale, sauver des terrains et installer des jeunes, et que je réplique : “si vous avez des enfants ou petits-enfants, la première des choses à faire serait de les aiguiller vers des filières de formations agricoles”, là, sur le disque, le sillon de la chanson déraille ! Car à ma connaissance et à mon grand regret, les écoles agricoles ne croulent pas sous les demandes d’inscriptions !
L’agribashing que vous évoquiez peut-il mettre en péril notre agriculture ?
Ça a déjà débuté ! Contrairement à tout ce que l’ont entend et que certains voudraient nous inculquer, je dis stop, arrêtez ! On ne fait pas n’importe quoi, nous sommes des personnes responsables, issues de générations qui ont fait des études en la matière ! En Europe, pour nous soigner, nous sommes les premiers consommateurs à avaler des intrants chimiques contenus dans les médicaments, mais on refuse qu’ils soient utilisés en agriculture pour préserver les plantes de maladies ; les gens manquent de bon sens ! Chez nous, la culture des terres c’est une tradition, que l’on nous fasse confiance ! Il faut que l’on arrête de nous tirer dessus, de montrer du doigt nos vignerons, nos maraîchers, nos arboriculteurs, nos éleveurs. Car à force, pour l’alimentation, on finira par dépendre des autres, comme pour les matières premières et l’énergie, et ça sera une catastrophe avec une révolte dans ce pays où les assiettes ne seront plus garnies !
Regrettez-vous que l’agriculture n’occupe plus le rang qu’elle mérite ?
Oui, car la majorité des personnes n’ont plus vraiment conscience du fait que les agriculteurs sont à la base des produits alimentaires achetés dans les rayons des supermarchés. C’est un problème sociétal, on est arrivé à une génération qui a totalement coupé et oublié ce lien avec la terre nourricière. Il n’y a plus cette reconnaissance, ce savoir vivre, ces racines que les anciennes générations ont gardées avec ce souvenir des récoltes dans les champs auprès des parents ou grands-parents. De plus, cette nouvelle génération a la maladresse de penser trop souvent que la nature appartient à tout le monde. Hors non, derrière il y a des propriétaires et un minimum de comportements respectueux à observer qui ont complétement disparu ! C’est regrettable car entre les vols ou décharges sauvages, ce rapport du respect aux cultures et de la propriété privée se perd !
L’expérience d’une activité professionnelle agricole prédispose mieux une ou un prétendant à l’engagement d’une fonction d’élu(e) ?
Je dis souvent que lorsque l’on est un élu issu du milieu agricole, on gère sa commune avec beaucoup de bon sens ! On a les pieds sur terre parce que, avant de dépenser un sou, on sait que l’on doit en rentrer deux. Et je constate que mes collègues issus du même milieu ont aussi cette sagesse du respect de l’argent public, de la terre et de leur bourgade. Il y a une évidence, lorsqu’un agriculteur s’engage en politique c’est parce qu’il a un affect avec sa terre, sa commune, une relation forte qui n’est pas que politique au sens pur du terme, qui va bien au-delà, car c’est filial…