Lilian Copovi : “Et pourquoi pas l’ICHN pour nos territoires ?” [par yann Kerveno]

Le vignoble de la côte est celui qui paye le plus lourd tribut à la sécheresse. De quoi obliger les entreprises à innover, dans tous les sens.

Joël Castany, ancien président de la cave de Leucate, a récemment mis les pieds dans le plat en évoquant la cessation de paiement. Qu’en-est-il exactement ?
Il faut dire les choses, même si la procédure de cessation de paiement ne s’applique pas vraiment en tant que tel aux coopératives. Mais je veux surtout préciser que cela ne concerne pas que la cave de Leucate, mais bien tout le secteur viticole du littoral et plus largement la viticulture de la région. Joël aurait pu parler plus largement pour la viticulture régionale. D’ailleurs, je note que, jusqu’ici, nous n’avons pas reçu beaucoup de soutiens de nos partenaires habituels… Vous savez, aujourd’hui, j’ai l’impression de porter le deuil de la ruralité. Quand je traverse le vignoble avec les diverses commissions d’experts, j’ai l’impression d’aller à une sépulture, quand je suis les bennes avec le raisin, ce sont des corbillards que je vois. Nous vivons un drame qui va voir notre terroir être la proie des friches, des sangliers et des incendies…

La situation est-elle catastrophique ?
Quand il manque la moitié de la récolte, c’est le cas cette année, il faut trouver des solutions pour pouvoir honorer le paiement de nos investissements. D’ailleurs, nous avons mis en sommeil la dernière tranche du hameau agricole du chai Laprade centrée autour de l’œnotourisme, ce n’est clairement pas le moment. Nous devons finir d’assumer la fin de nos amortissements d’ici à 2026.
Après expertises d’ingénierie, nous avons des cuves, du froid, du chaud, des pompes, de la filtration, de la centrifugation… Des matériels qui ne servent que deux mois par an. Pourquoi pas, à ce moment là, diversifier notre outil ? De l’huile d’olive ? de la bière ? Des jus de fruits ? Des raisins de Corinthe ? Que sais-je encore ? Il faut étudier toutes les solutions possibles pour faire tourner cet outil et faire vivre le territoire.

Le principal problème cette année, c’est bien l’eau, non ?
Oui et là, on ne peut avoir que des regrets. Il y a eu un projet, porté par Georges Frêche il y a 30 ans, Aqua Domitia, qui n’a pas vu le jour, on en paye le prix fort aujourd’hui. Vous imaginez que cela coûtait à l’époque 4 à 5 milliards de francs, soit 800 M € environ, ça fait 2 000 francs l’hectare, avec une subvention de l’Europe, j’avais fait les calculs à l’époque, à 620 francs, ça passait. Les forages sont utiles, mais ils feront leur temps, bientôt, on nous dira qu’il n’y a pas assez d’eau pour tout le monde et cette eau sera dirigée vers les populations. Et nous laisser un peu plus de liberté.

C’est à dire ?
Il faut aussi relâcher un peu la pression sur l’agriculture car nous sommes cernés par les Parcs naturels, Natura 2000, le Conservatoire du littoral le Syndicat de protection des lagunes, les plans de prévention des risques industriels. Quand vous voulez faire quelque chose, soit c’est refusé, soit c’est retardé à l’infini.
Mais comment voulez-vous que cela fonctionne, chaque échelon politique, les villages, les agglos, le Conseil départemental, les députés, sont tous d’une couleur politique différente, alors personne ne bouge pour que les autres profitent des retombées. Or, ce qu’ils doivent comprendre aujourd’hui, c’est que ce n’est pas de la seule viticulture dont il est question. Mais bien de sauver le monde rural !

Pour autant, cela ne serait pas suffisant, si ?
Il y a une zone, qui va peut-être de Gruissan jusqu’à Salses, où nous n’avons eu que 150 mm d’eau, et encore je ne suis même pas sûr que nous les ayons eus. Vous conviendrez comme moi que c’est un handicap de plus contre lequel, faute de ressources, nous ne pouvons combattre… Non ? Alors dans ce cas-là, la question qu’il faut aujourd’hui poser, c’est pourquoi ne pas intégrer notre territoire dans le périmètre de l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN, NDLR) ? C’est bien ce qu’on a fait pour le secteur de Quintillan il y a une trentaine d’années. À l’époque, il y avait 40 hectares de vigne sur le secteur qui faisaient 2 000 hl. Et aujourd’hui, 30 ans plus tard, nous avons réussi à maintenir les 40 hectares qui produisent 2 000 hl avec un paysage merveilleusement entretenu. Alors je me dis qu’une ICHN À 500 euros l’hectare, c’est 10 centimes par col en ce qui nous concerne, cela pourrait redonner de l’espoir aux vignerons… C’est finalement simple.

Dans les cinq ans qui viennent, nous allons perdre 30 % des vignes du secteur, la cave pourrait passer de 1 200 à 900 hectares. Cela donne malheureusement raison à Joël Castany qui disait que les sangliers nous feraient reculer…

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